LEE LAKEMAN, ANGELA MILES et LINDA CHRISTIANSEN-RUFFMAN
Chaque édition des Canadian Woman Studies/les cahiers de la femme comprend une occasion de rassembler des femmes de divers lieux pour échanger, lire ensemble et discuter d’éventuels contenus. Il s’agit toujours d’une expérience pédagogique utile pour les membres du comité de rédaction, les étudiantes, la profession des études féministes, les militantes et le mouvement des femmes en général.
Mais à notre époque de pressions vives et accrues sur les femmes et sur leur militantisme, il faut aller plus loin. Les membres du comité éditorial, les auteures possibles et nos lectrices ont l’impression d’être assiégées. De nouvelles menaces financières pèsent sur les places des femmes dans les universités, les centres, les projets et les différents volets du mouvement, ainsi que sur les conditions de vie, la dignité et l’autonomie des femmes. Écrire et penser avec créativité, faire preuve d’ingénuité et de sagesse politique est difficile mais d’autant plus essentiel dans les circonstances.
Le comité éditorial a su relever ce défi. Certaines d’entre nous ont pu se rencontrer et discuter d’articles. D’autres ont eu recours aux nouvelles technologies pour se joindre à nous à distance. Nous avons rappelé des femmes de confiance, encouragé des femmes découragées, suggéré de nouveaux noms et de nouvelles idées issues de nos divers contacts pour susciter des perspectives capables d’enrichir tout ce projet. Nous avons puisé dans le travail d’universitaires et de militantes, de travailleuses et de prestataires de programmes et d’avantages sociaux. Comme à notre habitude, nous avons facilité les liens entre elles.
Pour ce numéro, nous avons aussi eu l’occasion exceptionnelle d’allier militantisme, recherche et théorie dans un processus proprement féministe de création de savoir. Deux membres du comité exécutif des cahiers canadiens de la femme et deux membres du comité de rédaction invité pour ce numéro ont pu rencontrer, à Pictou (Nouvelle-Écosse), des féministes de partout au pays pour deux jours d’échanges intenses sur les thèmes du présent numéro. Ce dialogue entre autant de représentantes de groupes nationaux et de groupes régionaux de base s’est avéré des plus inspirants.
Notre mouvement a besoin de beaucoup plus de contacts réciproques. Il nous faut créer entre nous des échanges plus poussés, pour renouveler notre intelligence commune de nos programmes d’action féministes. Nous avons besoin de réitérer l’une pour l’autre la pertinence de chacune de nos exigences dans nos campagnes à toutes. C’est par cette convergence de revendications et d’initiatives que naît et résiste notre espoir. Pictou nous a offert cette occasion et nous y avons redécouvert que le féminisme est vivant et vivace au Canada et qu’il lutte pour sa part d’un monde meilleur.
Nous nous sommes réparties en deux pour les premières discussions à Pictou. Fidèles au processus féministe de s’ancrer d’abord dans les expériences des femmes, les groupes ont abordé la question de la sécurité et de l’autonomie financière des femmes sous deux angles différents mais reliés. Les membres du premier groupe se sont parlé des nombreuses campagnes sur la sécurité économique qu’elles avaient menées, mettant l’accent sur les liens entre divers enjeux et des façons de les promouvoir dans une perspective féministe. L’autre groupe a d’abord échangé sur les vies et les expériences des femmes, y compris notre insécurité économique croissante, pour identifier et imaginer les changements qu’il faudrait instaurer pour assurer la sécurité et l’autonomie de toutes les femmes. Chaque groupe a été invité à prioriser les incidences de cet enjeu pour les femmes les plus pauvres, les femmes autochtones et les femmes immigrantes, et à porter attention aux contextes internationaux. La trousse des participantes contenait de l’information sur une formule qui suscite de plus en plus d’intérêt, le revenu universel annuel, et les deux groupes ont été invités à discuter de cette hypothèse. Puis, un dialogue plénier, informé par les thèmes des deux groupes, a conduit à jeter les bases d’un énoncé féministe sur un revenu acceptable garanti, que reflète la « Déclaration de Pictou » présentée ici. Cet énoncé n’a pas été endossé par les diverses participantes de la rencontre de Pictou et elles n’ont pas encore eu le temps de le soumettre à leurs groupes respectifs. Il s’agit néanmoins d’un résultat stimulant, issu d’un dialogue féministe aussi exceptionnel que porteur. Nous croyons qu’il y a là une avancée importante pour la pensée féministe sur ces questions et il nous fait plaisir de vous présenter ce texte.