Le 18 janvier 2013 (Ottawa) – La Cour suprême duCanada a rendu sa décision dans la cause R. c. Ryan. L’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry (ACSEF) et le Fonds d’action et d’éducation juridiques (FAEJ) sont intervenus ensemble dans ce dossier, plaidant que les femmes violentées par un conjoint qui tentent de recourir à la force pour sauver leur vie et celle de leurs enfants ont droit aux moyens de défense prévus en droit criminel.
Le tribunal a déterminé que la défense de contrainte ne s’appliquait pas mais a ordonné une suspension des procédures. Par conséquent, Madame Ryan n’aura pas à subir une nouvelle poursuite.
L’ACSEF et le FAEJ avaient plaidé que la loi devrait mieux refléter le vécu réel des femmes violentées par un conjoint. En ordonnant la suspension des procédures, la Cour a reconnu que Madame Ryan avait été «sérieusement affectée» par la violence qu’elle a subie:
«En outre, Mme Ryan a été sérieusement affectée par les mauvais traitements que lui a infligés M. Ryan, ainsi que, nul doute, par ces interminables procédures, s’étirant sur presque cinq ans, et au cours desquelles elle a d’abord été acquittée en première instance avant de s’opposer avec succès à l’appel du ministère public en Cour d’appel. Il est aussi troublant de constater, à la lumière du dossier, que les autorités compétentes ont semblé démontrer un plus grand empressement à intervenir pour protéger M. Ryan qu’à réagir à la demande de Mme Ryan lorsqu’elle sollicitait leur aide pour mettre un terme au règne de terreur que lui imposait son époux.»
Malheureusement, même si la CSC déclare que cette affaire est exceptionnelle, il existe de bonnes raisons de croire qu’il n’en est rien. «Tous les six jours, une femme est tuée au Canada par un partenaire intime. Ces assassinats sont souvent associés à l’absence ou à l’insuffisance de mesures appropriées du système de justice pénale pour défendre ces femmes. En n’exerçant pas la diligence nécessaire pour protéger les femmes contre la violence sexiste, le gouvernement canadien contrevient à ses obligations aux termes du droit international» constate Lee Lakeman, porte-parole de l’Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel (ACCCACS). «Les femmes qui fuient la violence ont le droit de se défendre contre leurs agresseurs, et la loi doit changer afin qu’elles ne soient pas criminalisées lorsqu’elles agissent en désespoir de sauver leur vie», ajoute Madame Lakeman.
Si cette décision met fin à une poursuite intentée contre une femme, il est malheureux que l’analyse faite par la Cour suprême des moyens de défense inscrits au droit criminel ne présente pas beaucoup d’espoir pour leur évolution. Le jugement s’en tient à une analyse de la doctrine et à certaines clarifications des moyens de défense, mais n’aborde pas leurs lacunes à rendre compte de la diversité des expériences humaines auxquelles elles doivent s’appliquer. Selon Christine Boyle, conseillère de l’ACSEF et du FAEJ, «la décision me semble refléter, plutôt qu’un progrès de la common law, le souhait d’une stabilité conceptuelle du droit des défenses, ainsi qu’une préférence pour une contestation d’ordre constitutionnel et des réformes législatives. C’est une orientation tout à fait contraire au souhait de l’ACSEF et du FAEJ, qui prônent une évolution du droit relatif aux moyens de défense en vue de favoriser l’égalité, dans le but d’éviter la criminalisation des femmes forcées de se défendre contre la violence.»
Nicole Ryan a subi 15 années d’un «règne de terreur». Son compte rendu des violences subies, de ses craintes et de ses efforts pour trouver de l’aide a été accepté par le tribunal de première instance, qui l’a acquittée de l’accusation d’avoir conseillé la perpétration d’un meurtre. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a par la suite maintenu à l’unanimité cet acquittement. Nicole Ryan a été victime d’agressions sexuelles et physiques, de violences émotionnelles et psychologiques et de menaces répétées avec une arme à feu. Son conjoint l’a également menacée à plusieurs reprises de les «tuer», «détruire» et «anéantir», elle et leur fille, si Madame Ryan le quittait. Ces menaces étaient souvent d’une précision morbide. M. Ryan a menacé de mettre le feu à leur maison pendant que Madame Ryan et leur fille s’y trouveraient et il lui a montré le terrain où il voulait creuser une tranchée pour les enterrer sous du gravier et des déchets. Madame Ryan mesure 5 pi 3 po et pèse 130 livres, alors que M. Ryan mesure 6 pi 3 po et pèse 230 livres.
Lorsque Madame Ryan a enfin réussi à fuir, la preuve présentée au tribunal a révélé que, même s’il résidait à deux heures de route de chez elle, M. Ryan surgissait souvent sur le chemin la conduisant à son travail, et à l’extérieur de la maison de sa soeur où elle avait trouvé refuge. Madame Ryan a contacté la police et les services aux victimes une douzaine de fois, mais les tribunaux ont confirmé que ses appels à l’aide «étaient restés lettre morte». Isolée, terrifiée et dépourvue d’options, Madame Ryan a éventuellement cherché protection. L’accusation d’avoir conseillé de commettre un crime a été portée après sa rencontre avec un agent d’infiltration policier qui se faisait passer pour un tueur à gages.
Selon Jennifer Tomaszewski, porte-parole du Fonds d’action et d’éducation juridiques, «la violence faite aux femmes demeure toujours un problème grave. Nous sommes plus que jamais engagées à plaider au nom des femmes et à faire valoir les enjeux d’égalité soulevés dans des causes comme R. c. Ryan. Dans le contexte de la très récente décision R. c. O’Brien, nous craignons qu’il reste encore beaucoup de travail à faire.»
Christine Boyle, c.r., est conseillère de l’ACSEF et du FAEJ.
Le factum de l’ACSEF-FAEJ est accessible au http://leaf.ca/legal-issues-cases-and-law-reform/active-cases/
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