par Janice G. Raymond
Les arguments suivants sont valables pour toutes les formes de prostitution soutenues par les Etats, y compris (mais pas uniquement) la réglementation à grande-échelle des maisons closes, la dépénalisation de l’industrie du sexe, le contrôle de la prostitution par des lois sur l’inscription à un registre ou sur l’obligation de se soumettre à des examens médicaux pour les femmes qui sont dans le milieu de la prostitution, ou tout système reconnaissant la prostitution comme « un travail sexuel » ou prônant le choix de travailler dans la prostitution.
Alors que des Etats envisagent de réglementer et de dépénaliser l’industrie du sexe, nous vous exposons ici les effets de la légitimation de la prostitution en tant que « travail », qui, loin de donner plus d’autonomie aux prostituées, renforce au contraire l’industrie du sexe.
La légalisation /dépénalisation de la prostitution est un cadeau fait aux proxénètes, aux trafiquants et à l’industrie du sexe.
La légalisation/dépénalisation de la prostitution et de l’industrie du sexe encourage la traite pour exploitation sexuelle.
La légalisation /dépénalisation de la prostitution ne permet pas de contrôler l’industrie du sexe, cela l’étend.
La légalisation /dépénalisation de la prostitution augmente la prostitution clandestine, souterraine, illégale et celle sur la voie publique.
La légalisation de la prostitution et la dépénalisation de l’industrie du sexe accroît la prostitution des mineurs.
La légalisation /dépénalisation de la prostitution ne protège pas les femmes qui sont dans ce milieu.
La légalisation /dépénalisation de la prostitution accroît la demande de prostitution. Cela motive les hommes à acheter des femmes en vue de rapports sexuels dans un cadre social acceptable large et permissif.
La légalisation /dépénalisation de la prostitution ne favorise pas le bon état de santé des femmes.
La légalisation /dépénalisation de la prostitution n’augmente pas les possibilités de choix des femmes.
Les femmes qui sont dans le milieu de la prostitution ne souhaitent pas la légalisation ou la dépénalisation de l’industrie du sexe.
Arguments :
1. La légalisation /dépénalisation de la prostitution est un cadeau fait aux proxénètes, aux trafiquants et à l’industrie du sexe.
Que signifie légaliser la prostitution ou dépénaliser l’industrie du sexe ? Aux Pays-Bas, cela revient à approuver tous les aspects de l’industrie du sexe : les femmes, les clients, et les proxénètes qui, sous le modèle réglementariste, deviennent des hommes d’affaires et de légitimes entrepreneurs sexuels.
La légalisation /dépénalisation de l’industrie du sexe transforme également les maisons closes, les sex-clubs, les salons de massage et autres endroits où s’exerce la prostitution en des lieux de rencontre légitimes dans lesquels le commerce du sexe peut fleurir en toute légalité, sans grande contrainte.
Le citoyen ordinaire pense qu’en demandant la légalisation et la dépénalisation de la prostitution, il donne à la prostituée un statut respectable et professionnel. Pourtant, faire de la prostitution un travail respectable ne rend pas les femmes elles-mêmes plus respectables, cela légitimise tout simplement l’industrie du sexe. Souvent, les gens ne se rendent pas compte que la dépénalisation implique, par exemple, la dépénalisation de l’ensemble de l’industrie du sexe, et non celles des femmes uniquement. De plus, ils n’ont pas réfléchi aux conséquences de la légalisation des proxénètes en tant qu’entrepreneurs sexuels ou hommes d’affaires, ou bien encore que les hommes, qui achètent des femmes en vue de rapports sexuels, sont désormais reconnus comme de légitimes consommateurs de sexe.
La CATW prône la dépénalisation des femmes qui sont dans la prostitution. Aucune femme ne devrait être condamnée pour sa propre exploitation. Mais les Etats ne devraient jamais décriminaliser les proxénètes, les clients, les entremetteurs, les ouvertures de maisons closes ou de tout autre établissement sexuel.
2. La légalisation /dépénalisation de la prostitution et de l’industrie du sexe encourage la traite en vue de l’exploitation sexuelle.
La légalisation ou la dépénalisation des industries de prostitution constitue la raison essentielle de la traite. Un des arguments pour légaliser la prostitution aux Pays-Bas était que la légalisation permettrait de mettre fin à l’exploitation d’immigrées désespérées victimes de la traite. D’après un rapport effectué pour le groupe gouvernemental de Budapest*, 80 % des femmes qui sont dans les maisons closes hollandaises ont fait l’objet d’un trafic vers l’étranger (Groupe de Budapest, 1999 : 11). Dès 1994, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a déclaré qu’aux Pays-Bas, « près de 70 pour cent des femmes exploitées étaient originaires des pays de l’Europe centrale et orientale (PECO) » (OMI, 1995 : 4).
Le gouvernement des Pays-Bas se vante d’être le champion de la lutte contre la traite d’êtres humains à travers ses politiques et ses programmes, pourtant il a supprimé tous les obstacles légaux au proxénétisme, à l’acquisition de prostituées et à l’ouverture de maisons closes. En l’an 2000, le ministère hollandais de la Justice a plaidé pour un quota légal de « travailleuses du sexe » étrangères, car le marché hollandais de la prostitution réclame une diversité de « corps » (Dutting, 2001 : 16).
La même année, le gouvernement hollandais a souhaité et obtenu un jugement de la Cour de justice des Communautés européennes reconnaissant la prostitution comme une activité économique et permettant par conséquent aux femmes originaires de l’Union européenne (UE) ou des pays de l’ancien bloc soviétique, de recevoir un permis de travail en tant que « travailleuse du sexe » pour l’industrie du sexe aux Pays-Bas, à condition qu’elles prouvent leur indépendance. Des Organisations non gouvernementales (ONG) hollandaises ont déclaré que les trafiquants profitent de cette décision pour amener des femmes étrangères dans l’industrie de la prostitution des Pays-Bas, en dissimulant le fait qu’elles soient victimes de la traite et en leur enseignant comment prouver qu’elles sont des « travailleuses du sexe immigrées » indépendantes.
Un an après la réouverture des maisons closes aux Pays-Bas, les ONG ont indiqué qu’il y a eu une augmentation du nombre des victimes de la traite ou, au mieux, que le nombre des victimes étrangères était resté le même (Bureau NRM, 2002 : 75). Quarante-trois municipalités hollandaises désirent mener une politique contre les maisons closes mais le Ministre de la Justice a affirmé qu’une interdiction totale de la prostitution dans une commune serait contraire au « droit de choisir librement son travail » (Bureau NRM : 2002) qui est garanti dans la Constitution fédérale des Pays-Bas, la Grondwet.
En janvier 2002, la prostitution a été pleinement reconnue comme une activité légitime en Allemagne, après avoir été autorisée, pendant des années, dans des lieux appelés éros-center ou zones de tolérance. Le développement de la prostitution, du proxénétisme et des maisons closes sont désormais autorisées. Dès 1993, après que les premiers pas vers la réglementation ont été engagés, on a reconnu (y compris les partisans de la prostitution) que 75 pour cent des femmes travaillant dans l’industrie de la prostitution allemande étaient originaires de l’Uruguay, de l’Argentine, du Paraguay et d’autres Etats d’Amérique du sud (Altink, 1993 : 33). Après la chute du mur de Berlin, les propriétaires de maisons closes ont signalé que neuf femmes sur dix, travaillant dans l’industrie allemande du sexe, provenaient d’Europe de l’Est (Altink, 1993 : 43) et d’autres pays anciennement soviétiques.
Compte-tenu de l’immense proportion de femmes étrangères qui sont dans l’industrie de la prostitution en Allemagne – plus de 85 pour cent selon les estimations de certaines ONG -, le fait qu’elles aient pu bénéficier d’une aide pour entrer sur le territoire allemand ne fait aucun doute. Il en va de même aux Pays-Bas, où des ONG affirment que la plupart des femmes étrangères ont été amenées de force dans le pays car il est pratiquement impossible pour des femmes avec peu de ressources d’assurer leur propre émigration, les coûts du voyage et des papiers officiels et de monter leur propre « affaire » sans aide extérieure.
Le lien entre la légalisation de la prostitution et le trafic d’êtres humains en Australie a été reconnu dans le rapport de 1999 du département d’Etat sur les pratiques en matière de droits de l’Homme dans chaque pays, publié par le Bureau pour la démocratie, les droits de l’Homme et le travail des Etats-Unis. Dans le rapport sur l’Australie, on note que dans l’Etat de Victoria, qui a réglementé la prostitution dans les années quatre-vingt, « le trafic de femmes d’Asie orientale pour le commerce illégal du sexe est un problème croissant » en Australie(…)les lois permissives – comprenant la légalisation de la prostitution dans certaines parties du pays – rendent difficile le travail de mise en application [de la lutte contre la traite].
3. La légalisation /dépénalisation de la prostitution ne permet pas de contrôler l’industrie du sexe, cela l’étend.
Contrairement aux affirmations selon lesquelles la légalisation et la dépénalisation régleraient l’expansion de l’industrie du sexe et permettraient son contrôle, celle-ci représente désormais cinq pour cent de l’économie des Pays-Bas (Daley, 2001 : 4). Lors des dix dernières années, aux Pays-Bas, alors que le proxénétisme a été légalisé et les maisons closes dépénalisées en 2000, l’industrie du sexe a progressé de 25 % (Daley, 2001 : 4). A toute heure du jour et de la nuit, des femmes de tous les âges et de toutes les races sont exposées, en tenue très légère, derrière les tristement célèbres vitrines des bordels et des sex-clubs hollandais, prêtes à être achetées pour la consommation masculine. La plupart d’entre elles sont étrangères et selon toute vraisemblance sont victimes d’un trafic qui les conduit aux Pays-Bas.
Dans ce pays, il existe à l’heure actuelle des associations reconnues pour les affaires du sexe et les « clients » de la prostitution qui consultent et collaborent avec le gouvernement afin de servir leurs intérêts et de promouvoir la prostitution.
Parmi elles, figurent « l’Association des opérateurs des affaires de relaxation », la « Consultation coopérante des opérateurs de la prostitution derrière les vitrines », ainsi que la « Fondation des Hommes/Femmes et de la prostitution », un groupe d’hommes qui ont recourt régulièrement aux femmes qui sont dans la prostitution et dont le but spécifique comprend « de faire en sorte que la prostitution et le recours aux services des prostituées soient plus acceptés et deviennent un sujet de discussion ouvert » ainsi que de « protéger les intérêts des clients »(NRM Bureau, 2002 : 115-16).
Confronté à la pénurie de femmes qui souhaitent « travailler » dans le secteur légal du sexe, le rapporteur national hollandais sur la traite d’êtres humains déclare qu’à l’avenir, une « solution » envisagée pourrait être « d’offrir [au marché] des prostituées ne provenant pas de pays de l’Union européenne ou de l’Association économique européenne, qui choisissent délibérément de travailler dans la prostitution… » On pourrait leur donner « un accès légal et contrôlé au marché hollandais » (NRM Bureau, 2002 : 140). Etant donné que la prostitution a été transformée en « travail sexuel », et les proxénètes en entrepreneurs, cette « solution » probable transformerait également la traite d’êtres humains en « migration volontaire pour travail sexuel. » Les Pays-Bas regardent vers l’avenir en ciblant les femmes de couleurs vivant dans la pauvreté pour le commerce international du sexe afin de combler les insuffisances du libre marché des « services sexuels. » Cela renforce la normalisation de la prostitution en tant qu’ « option pour les pauvres. »
La légalisation de la prostitution dans l’Etat de Victoria en Australie, a conduit à une expansion massive de l’industrie du sexe. Alors qu’il y avait quarante maisons closes autorisées en 1989, il y en avait quatre-vingt quatorze en 1999 en plus de quatre-vingt quatre services d’hôtesses. D’autres formes d’exploitation sexuelle, comme la danse sur des tables, les centres sadomasochistes, les peep-shows, les services de téléphone rose, et la pornographie se sont toutes développées de façon beaucoup plus lucrative qu’auparavant (Sullivan et Jeffreys : 2001).
La prostitution est devenue une activité acceptée dans l’Etat de Victoria, accompagnant la hausse du tourisme et l’expansion des casinos, dont certains financés en partie par le gouvernement autorisent l’utilisation des jetons et des primes gagnés à la roulette dans les bordels environnants (Sullivan et Jeffreys : 2001). La marchandisation des femmes est beaucoup plus visible et s’est extrêmement intensifiée.
Le nombre des maisons closes en Suisse a doublé quelques années après la légalisation partielle de la prostitution. La plupart d’entre elles sont exemptes de taxes et un bon nombre sont illégales. En 1999, le journal de Zurich, Blick, a indiqué que la Suisse avait la plus forte densité de maisons closes en Europe. Les résidents se sentent envahis par les lieux de prostitution et sont confrontés aux empiètements récurrents sur les zones dans lesquelles les activités de prostitution ne sont pas autorisées (South China Morning Post : 1999).
4. La légalisation /dépénalisation de la prostitution augmente la prostitution clandestine, souterraine, illégale et celle sur la voie publique.
La légalisation devait faire quitter les prostituées de la voie publique. Bon nombre d’entre elles ne veulent pas se faire enregistrer ni subir des examens médicaux, comme la loi l’exige dans certain pays ayant légalisé la prostitution. Par conséquent, cette légalisation les mène souvent à se prostituer sur la voie publique. Beaucoup de femmes choisissent la prostitution de rue car elles veulent éviter d’être contrôlée et exploitée par les nouveaux « hommes d’affaires » du sexe.
Aux Pays-Bas, les femmes dans le milieu de la prostitution soulignent que la légalisation ou la dépénalisation de l’industrie du sexe ne peut effacer les stigmates de la prostitution mais, au contraire, rend les femmes plus vulnérables aux agressions car elles doivent s’inscrire sur un registre et perdre leur anonymat. Ainsi, la majorité des prostituées choisissent encore d’agir de manière illégale et souterraine. Des membres du Parlement qui étaient à l’origine partisans de la légalisation des maisons closes, pensant que cela libèrerait les femmes, constatent désormais que cette légalisation renforce en fait l’oppression envers les femmes (Daley, 2001 : A1).
L’argument selon lequel la légalisation devait supprimer les éléments criminels de l’industrie du sexe par un contrôle strict s’est avéré faux. Le véritable développement de la prostitution en Australie, depuis l’entrée en vigueur de la légalisation, s’est produit dans le secteur illégal. Depuis le début de la légalisation, le nombre de maisons closes a triplé et leur taille a augmenté – l’immense majorité n’ayant pas d’autorisation mais faisant sa propre publicité et opérant en toute impunité (Sullivan et Jeffreys : 2001).
Dans le nouveau Pays de Galle du sud, les maisons closes ont été dépénalisées en 1995. En 1999, le nombre de maisons closes à Sydney a progressé de manière exponentielle, atteignant les quatre cents-cinq cents. La plupart n’ont pas d’autorisation légale. Pour mettre un terme à la corruption endémique de la police, le contrôle de la prostitution illégale a été enlevé des mains de la police pour revenir aux conseils municipaux et aux groupes de planification. Le conseil n’a ni les moyens ni le personnel suffisants pour enquêter dans les bordels afin d’y faire un grand nettoyage et de poursuivre les dirigeants illégaux.
5. La légalisation de la prostitution et la dépénalisation de l’industrie du sexe accroît la prostitution des mineurs.
Un des autres arguments avancés pour légaliser la prostitution aux Pays-Bas était que cela permettrait la fin de la prostitution des mineurs. En pratique, cependant, la prostitution enfantine a progressé de façon dramatique pendant les années 1990 aux Pays-Bas. L’Organisation pour les droits des enfants, dont le siège est à Amsterdam, estime que le nombre de mineurs qui se prostituent est passé de 4 000 en 1996 à 15 000 en 2001. Ce groupe indique qu’au moins 5 000 mineurs sont étrangers, avec une grande proportion de filles venant du Nigeria (Tiggeloven : 2001).
La prostitution enfantine a augmenté de façon dramatique dans l’Etat de Victoria par rapport aux autres Etats australiens dans lesquels la prostitution n’a pas été légalisée. De tous les Etats et territoires d’Australie, c’est en Victoria que l’on trouve le plus fort taux de prostitution enfantine. D’après une étude de 1998, faite par l’Association pour la suppression de la prostitution enfantine et du trafic (en anglais ECPAT), organisation qui a conduit une recherche pour le Centre national australien sur la prostitution enfantine, l’exploitation organisée du commerce des enfants s’est sensiblement accrue.
6. La légalisation /dépénalisation de la prostitution ne protège pas les femmes qui sont dans ce milieu.
La Coalition contre le trafic des femmes (CATW) a mené deux grandes études sur le trafic sexuel et la prostitution et pour cela a recueilli le témoignage de près de deux cents victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales. Lors de ces études, les prostituées ont déclaré que les établissements dans lesquels elles étaient ne faisaient presque rien pour les protéger, qu’ils soient légaux ou illégaux. « Les seules fois où ils interviennent, c’est pour protéger les clients. »
Une étude menée dans cinq pays par la CATW, au cours de laquelle cent quarante-six victimes de la traite internationale et de la prostitution locale ont été interrogées, montre que 80 % de ces femmes ont subi des violences physiques de la part des proxénètes et des clients avec des conséquences multiples sur leur état de santé (Raymond et al : 2002).
La violence à laquelle ces femmes ont été confrontées était une part intrinsèque de la prostitution et de l’exploitation sexuelle. Les proxénètes avaient recours à la violence pour des raisons et dans des buts différents : tout d’abord, pour initier quelques-unes à la prostitution et les faire céder pour qu’elles aient des rapports sexuels. Après cela, à chaque stade du processus, les proxénètes y avaient recours pour leur gratification sexuelle, pour exercer leur domination, pour punir les femmes de soi-disant « violations », pour les menacer et les intimider, pour obtenir leur soumission, pour les humilier et pour les isoler et les enfermer sur elles-mêmes.
Parmi les femmes qui ont mentionné que les établissements sexuels les protégaient quelque peu, ces dernières ont souligné que jamais aucun « protecteur » n’était présent dans la chambre avec elle, lieu où tout pouvait se produire. Une femme qui était dans la prostitution ambulante a déclaré : « Le chauffeur joue en quelque sorte le rôle de garde du corps. Vous deviez appeler à votre arrivée, pour assurer que tout allait bien. Mais personne ne se tenait derrière la porte lorsque vous étiez à l’intérieur, alors n’importe quoi pouvait se passer. »
Les études menées par la CATW ont révélé que même les caméras de surveillance dans les établissements de prostitution ne servent qu’à protéger les établissements. La protection des femmes contre les abus est secondaire voire sans importance.
7. La légalisation /dépénalisation de la prostitution accroît la demande en prostitution. Cela motive les hommes à acheter des femmes en vue de relations sexuelles d’une manière beaucoup plus large et plus permissive que le cadre social acceptable.
Avec l’avènement de la prostitution dans des pays qui ont dépénalisé l’industrie du sexe, bon nombre d’hommes, qui ne se risquaient pas à payer des femmes pour des rapports sexuels, considèrent désormais la prostitution comme une chose acceptable. Lorsque les barrières légales disparaissent, les barrières sociales et éthiques font de même et les femmes sont traitées comme des produits sexuels. La légalisation de la prostitution laisse aux futures générations d’hommes et de garçons le message suivant : les femmes sont des produits sexuels et la prostitution est une distraction inoffensive.
Etant donné que l’on propose aux hommes un excès de « services sexuels », les femmes, placées en concurrence, doivent élargir la gamme de leurs services en ayant des rapports sans préservatif ou en pratiquant la sodomie, le sadomasochisme ou tout autre désir réclamé par les hommes. Une fois que la prostitution est légalisée, toutes les barrières sautent. Tout ce qui a attrait à la reproduction, par exemple, est un produit à vendre. Un groupe de nouveaux clients sont excités par la grossesse et demandent de téter le sein des femmes enceintes lors des rapports sexuels. Des bordels spéciaux pour hommes handicapés existent et les aides à domicile (le plus souvent des femmes) payées par le gouvernement doivent les y amener s’ils le souhaitent (Sullivan et Jeffreys : 2001).
Les publicités, montrant les femmes comme des objets sexuels et apprenant aux nouvelles générations de garçons et d’hommes à les traiter comme leurs subordonnées, fleurissent sur les autoroutes de Victoria. On encourage les hommes d’affaires à tenir leurs réunions d’entreprise dans ce genre de clubs dans lesquels les propriétaires amènent des femmes nues aux tables lors des pauses café ou du déjeuner.
Le gérant d’un bordel de Melbourne a déclaré que le client type était « un homme ayant fait des études supérieures, qui vient pendant la journée puis va chez lui rejoindre sa famille. » Les femmes, qui souhaitent avoir des relations plus égalitaires avec les hommes, s’aperçoivent souvent que l’homme qui partage leur vie fréquente les maisons closes et les sex-clubs. Elles ont le choix entre accepter que leur compagnon paie des femmes pour des rapports sexuels, éviter de reconnaître ce qu’il fait ou mettre fin à la relation (Sullivan et Jeffreys : 2001).
Le règlement du gouvernement suédois 1997/98 :55 sur la violence envers les femmes interdit et punit l’achat de « services sexuels. » Il s’agit là d’une approche innovante qui vise la demande de prostitution. La Suède pense qu’en « interdisant l’achat de services sexuels, la prostitution et ses effets nocifs peuvent être contrecarrés plus efficacement que jusqu’ici. » Chose importante, cette loi stipule clairement que « la prostitution n’est pas un phénomène social souhaitable » et qu’elle fait « obstacle au développement en cours vers l’égalité entre les femmes et les hommes. » **
8. La légalisation /dépénalisation de la prostitution ne favorise pas le bon état santé des femmes.
Un système de légalisation de la prostitution qui recommande des examens médicaux et des certificats uniquement aux femmes et non aux clients, est évidemment discriminatoire envers les femmes. Des examens médicaux « seulement pour les femmes » n’a pas de sens médical car la surveillance des prostituées ne les protège pas contre le VIH/SIDA ou les autres MST, étant donné que ce sont essentiellement les « clients » qui transmettent des maladies aux femmes.
On met en avant l’argument selon lequel les maisons closes, ou tout autre établissement dans lesquels la prostitution est « contrôlée », « protègent » les femmes grâce à leur politique en faveur de l’usage du préservatif. D’après une étude de la CATW, qui a recueilli le témoignage de prostituées américaines, 47 % ont déclaré que les hommes s’attendaient à des rapports sexuels sans préservatif, 73 % ont affirmé que les hommes proposaient de payer plus cher un rapport sans préservatif, 45 % d’entre elles ont indiqué qu’elles étaient agressées si elles insistaient pour que l’homme mette un préservatif. Quelques-unes ont précisé que certains établissements pouvaient avoir adopté la règle du port du préservatif mais dans les faits, les hommes cherchent toujours à avoir des rapports non protégés. Selon une prostituée, « la règle, c’est de porter un préservatif au sauna mais c’est une chose négociable entre les intéressés par la suite. La plupart des mecs s’attendent à plus de plaisir sans préservatif (Raymond et Hughes : 2001). »
Dans les faits, l’application de cette règle était laissée à chaque prostituée et l’offre d’argent supplémentaire était une pression insistante. Selon les dires d’une prostituée : « je mentirais si je disais que j’utilisais toujours un préservatif. Si je recevais davantage d’argent, alors je me fichais bien du préservatif. Je cherchais à gagner davantage. » Plusieurs raisons expliquent cette non-utilisation de préservatif : le besoin d’argent pour les femmes, la baisse de l’attirance des hommes pour les femmes moins jeunes, la concurrence des établissements qui n’exigent pas le port du préservatif, la pression des proxénètes sur les femmes pour qu’elles consentent à des rapports sexuels non protégés davantage rémunérés, le besoin d’argent pour acheter de la drogue ou pour rembourser le proxénète et le défaut général de maîtrise des prostituées sur leur corps lors des passes.
Les soi-disant « politiques de sûreté » dans les maisons closes ne protégent pas les femmes des dangers. Même au sein des établissements censés surveiller les « consommateurs » et employés des « videurs », des femmes ont déclaré avoir été blessées par des clients voire parfois par les propriétaires de ces établissements et leurs amis. Malgré le fait que quelqu’un intervenait afin de contrôler les dérives des clients, ces femmes vivaient dans la peur. Bien que 60 pour cent d’entre elles aient affirmé qu’on avait empêché les clients de leur faire du mal, la moitié de celles-ci ont répondu que, néanmoins, elles ont pensé qu’elles auraient pu être tuées par un de leurs clients (Raymond et al : 2002).
9. La légalisation /dépénalisation de la prostitution n’augmente pas les possibilités de choix des femmes.
La majorité des prostituées n’ont pas choisi rationnellement d’entrer dans ce milieu. Elles n’ont pas pris le temps de réfléchir et de décider finalement de se prostituer. Au lieu de parler d’un tel « choix », on devrait plutôt appeler cela une « solution de survie. » Il serait plus juste de dire qu’une prostituée se plie à la seule possibilité valable selon elle et non pas qu’elle y « consent ». Sa soumission est nécessaire pour s’adapter aux conditions d’inégalité instaurées par le client qui la paie pour qu’elle fasse ce que lui veut.
La plupart des femmes interrogées au cours des études de la CATW ont déclaré qu’on ne pouvait pas parler de choix d’entrer dans l’industrie du sexe, car elles n’avaient pas d’autres possibilités qui s’offraient à elles. Elles ont souvent souligné que les prostituées n’avaient pas d’autre alternative. Plusieurs ont dit que la prostitution était la dernière possibilité ou une façon non délibérée de joindre les deux bouts. Lors de l’une de ces études, 67 % des responsables de la mise en application des lois, interrogés par la CATW, ont déclaré que les femmes n’entraient pas dans la prostitution volontairement. 72 % des travailleurs sociaux, interrogés par la CATW, ne pensaient pas que les femmes choisissent d’entrer dans l’industrie du sexe volontairement (Raymond et Hughes : 2001).
Faire la distinction entre la prostitution libre et forcée est exactement ce que l’industrie du sexe défend car si cette distinction peut être utilisée comme argument pour légaliser la prostitution, le proxénétisme et l’ouverture des maisonscloses, cela donnera un poids légal et plus de sécurité à l’industrie du sexe. Ce sera aux femmes qui portent plainte contre les proxénètes d’apporter la preuve qu’elles étaient « forcées. » Comment ces femmes marginalisées pourront-elles prouver cette contrainte ? Si les prostituées doivent prouver qu’on a fait usage de la force lors du recrutement ou des « conditions de travail », très peu de femmes auront recours à la justice et très peu d’agresseurs seront poursuivis.
Les prostituées doivent mentir continuellement sur leur vie, leur corps et leur vie sexuelle. Mentir fait partie de leur travail, par définition, lorsque le client leur demande : « ça t’a plu ? » L’édifice de base de la prostitution est construit sur un mensonge selon lequel « les femmes aiment ça. » Des anciennes prostituées ont affirmé qu’il leur a fallu des années après avoir quitté le milieu pour reconnaître que la prostitution n’était pas un choix délibéré car nier leur propre aptitude à choisir revenait à nier leur propre existence.
Sans doute un petit nombre de femmes disent-elles avoir choisi de se prostituer, surtout lors d’une manifestation publique orchestrée par l’industrie du sexe. De la même manière, des individus choisissent de prendre des drogues dangereuses comme l’héroïne. Cependant, même lorsque des personnes choisissent deconsommercesdrogues, nous admettons toujours que cet usage leur est néfaste et la plupart des gens ne recherchent pas la légalisation de l’héroïne. Dans ce cas, le critère de référence est le mal sur la personne et non pas le consentement de la personne.
Même l’Organisation internationale du travail (OIT) a estimé dans un rapport de 1998, qui proposait que l’industrie du sexe soit considérée comme un secteur économique légitime, que « … la prostitution est une des formes de travail les plus aliénées ; les études [réalisées dans quatre pays] montrent que les femmes « travaillaient à contre-cœur », « se sentaient contraintes », étaient « prises de remords » ou avaient une mauvaise image d’elles-mêmes. » Une partie importante d’entre elles a affirmé souhaiter quitter le milieu de l’industrie du sexe (sic) si c’était possible (Lim, 1998 : 213). »
Lorsqu’une femme reste dans une relation qui la fait souffrir avec un compagnon qui la bat, et même lorsqu’elle défend ses agissements, les personnes se sentant concernées ne prétendent pas qu’elle en est là volontairement. On reconnaît la complexité de son acceptation. Souvent les prostituées, à l’instar des femmes battues, nient les sévices dont elles font l’objet quand elles n’ont pas d’autre alternative valable à la prostitution.
10. Les femmes qui sont dans le milieu de la prostitution ne souhaitent pas la légalisation ou la dépénalisation de l’industrie du sexe.
Lors d’une étude sur la trafic sexuel, menée dans cinq pays, réalisée par la CATW et financée par la Fondation Ford, la plupart des cent quarante-six femmes interrogées ont fermement affirmé que la prostitution ne devrait pas être légalisée ni considérée comme un travail légitime, mettant en garde contre l’augmentation des risques et des maltraitances dont elles feraient l’objet de la part de clients et de proxénètes déjà violents, si légalisation il y avait (Raymond et al, 2002). « En aucune façon c’est une profession ; ce n’est qu’humiliation et violence de la part des hommes. » Aucune femme interrogée ne souhaite que ses enfants, sa famille ou ses amis doivent gagner leur vie en entrant dans l’industrie du sexe. L’une d’elle a confié ceci : « la prostitution m’a volé ma vie, ma santé, tout. »
Conclusion :
Les législateurs cèdent à la vague de la légalisation parce qu’ils estiment que rien d’autre ne marche. Cependant, comme l’a noté un Commissaire de Scotland Yard : « Il faut faire attention à ne pas légaliser quelque chose uniquement parce qu’on pense que les actions menées ne sont pas, jusqu’ici, fructueuses. »
On entend très peu de choses sur le rôle de l’industrie du sexe dans la création d’un marché mondial du sexe utilisant le corps de femmes et d’enfants. En revanche, beaucoup de choses sont dites pour améliorer les conditions de « travail » des prostituées à travers la réglementation et/ou la légalisation, à travers des syndicats de prétendues « travailleuses du sexe » et à travers des campagnes dans lesquelles des préservatifs – et non pas de véritables alternatives à la prostitution – sont offerts. Des gens expliquent comment garder les prostituées dans le milieu mais ne proposent guère de solutions pour les en faire sortir.
Les gouvernements qui légalisent la prostitution comme un « travail du sexe » auront un énorme intérêt économique dans l’industrie du sexe. Par conséquent, cela va accroître leur dépendance à ce secteur. Si les prostituées sont comptabilisées comme des travailleuses, les proxénètes comme des hommes d’affaires et les clients comme des consommateurs de services sexuels, légitimant ainsi l’ensemble de l’industrie du sexe en tant que secteur économique, alors les gouvernements pourront abandonner leur responsabilité de créer des emplois décents et durables pour les femmes.
Plutôt que de sanctionner la prostitution, les Etats pourraient s’attaquer à la demande, en pénalisant les hommes qui achètent des femmes pour avoir des rapports sexuels, et soutenir le développement de possibilités de réinsertion pour les prostituées. Au lieu de récolter les taxes sur les profits engendrés par l’industrie du sexe, les gouvernements pourraient investir dans l’avenir des prostituées en leur fournissant des prestations, grâce à la saisie des capitaux de l’industrie du sexe, afin de leur proposer une véritable alternative à la prostitution.
Notes :
* Le Groupe de Budapest (Juin 1999). International Center for Migration Policy Development, Austria : « The relationship between organized crime and trafficking in Aliens ». Le processus de Budapest a été lancé en 1991. Près de quarante gouvernements et dix organisations y participent et cinquante réunions intergouvernementales ont été organisées, à des niveaux variés, notamment la Conférence des Ministres à Prague.
** Le rapporteur national de la police nationale suédoise sur la traite a déclaré que dans les six mois qui ont suivi l’entrée en vigueur de la loi suédoise de janvier 1999, la traite des femmes vers la Suède a baissé. Elle a également indiqué que selon ces homologues européens, les trafiquants choisissent d’autres pays de destination dans lesquels ils ne sont pas gênés par de tels textes législatifs. Ainsi, la loi est un moyen de dissuader les trafiquants.
Extrait du journal suédois Metro du 27 janvier 2001, article écrit par Karl Vicktor Olsson : « Sexkopslagen minkar handeln med kvinnor ».
Références
Altink, Sietske, Stolen Lives : Trading Women into Sex and Slavery, London : Scarlet Press, 1995.
Le Groupe de Budapest, International Center for Migration Policy Development, Austria : « The Relationship Between Organized Crime and Trafficking in Aliens », juin 1999.
Bureau NRM, « Traite des êtres humains : premier rapport du rapporteur national hollandais », p.155, La Haye, novembre 2002.
Daley, Suzanne, New York Times, 12 août 2001, pp. A1 and 4 : « New Rights for Dutch Prostitutes, but No Gain. »
Dutting, Giseling, Women’s Global Network for Reproductive Rights ‘ Newsletter, 3 : 15-16 : « Legalized prostitution in the Netherlands – recent debates », novembre 2000
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Coordonnées :
Dr Janice G. Raymond
Codirectrice de la Coalition contre le trafic des femmes (CATW)
Professeur émérite, University of Massachusetts, Amherst
P.O. Box 9338
N. Amherst, MA 01059
Etat-Unis
Coalition Contre la Traite des Femmes (en anglais CATW)
(25 mars 2003)
Mis en ligne sur Sisyphe, octobre 2003
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