Paris, 10 décembre 2002
Pour la première fois, des féministes sont descendu-es dans la rue en nombre pour dire NON au système prostitutionnel, NON à la répression visant les personnes prostituées, et OUI à un monde sans prostitution.
La participation d¹un quart d’hommes est un événement historique. Le système prostitutionnel concerne la société tout entière, y compris les hommes qui refusent les clichés sur les prétendus « besoins sexuels masculins irrépressibles ».
Cette manifestation, comme l’ont bien vu les nombreux journalistes et photographes présents, marque un tournant : il y avait déjà eu des actions de petits groupes féministes contre les viandards ( » clients « ) mais jamais, ni en Europe ni même, semble-t-il, dans le monde, il n’y avait eu une manifestation de cette ampleur. Dynamique et colorée, elle a été organisée par un groupe réuni autour du Collectif national pour les Droits des femmes, et comprenant des associations féministes, des associations travaillant auprès de personnes prostituées, des partis (PS, PC, PRG, les Verts, LCR), des syndicats, la Ligue des droits de l’homme, ATTAC, etc.
Les centaines de personnes qui ont marché derrière la banderole  » LES ÊTRES HUMAINS NE SONT PAS DES MARCHANDISES  » sont entrées dans l¹histoire, en ce 10 décembre, anniversaire de la Déclaration universelle des droits humains. Alors que l¹un de ces droits fondamentaux devrait être celui de ne pas être prostitué-e, dans les faits, payer pour avoir accès au sexe d’autres êtres humains est trop souvent considéré comme l¹un des droits des hommes.
C’est ce que dénonçaient pancartes et slogans comme : « Un mal nécessaire ou nécessaire aux mâles? », « Prostitution = liberté sexuelle pour qui? », « Viol et prostitution sont les deux mamelles du patriarcat », et encore: » Si cest un métier, proposez-le à vos enfants », « Services sexuels = sévices sexuels », « Si ça vous démange, grattez-vous! », « Oui au plaisir sans argent « , « Oui au plaisir sans violence », etc.
Cet événement s’est produit en France, dans le pays qui a inventé en 1810 le système réglementariste (les bordels tolérés par l’État), dans le pays où la féministe Marcelle Legrand-Falco a fondé en 1926 la première association abolitionniste (qui demandait l’abolition de la réglementation de la prostitution). La présence à la manifestation de sa nièce Denise Pouillon-Falco, militante de 86 ans, faisait le lien avec ces générations de féministes qui, depuis plus d’un siècle dans les pays occidentaux, proclament leur refus du système d’oppression machiste qu’est la prostitution.
Autre figure historique présente, Yvette Roudy, première ministre des Droits de la femme en 1981. Parmi les personnalités venues marcher, les socialistes Anne Hidalgo et Christophe Caresche, adjoints au maire de Paris, la députée Martine Lignières-Cassou, ainsi que les Vertes Martine Billard et Francine Bavay, et aussi Wassyla Tamzali, directrice honoraire à l’Unesco pour la promotion des femmes de la Méditerranée.
Au coin de la rue Saint-Denis, lieu de prostitution, une dizaine de femmes, portant sur le visage un masque blanc, attendaient les manifestant-es, et deux militantes de France-Prostitution ont distribué des tracts. Le défilé s’est poursuivi sans encombre sur les boulevards. Il s’est conclu par le rappel de l’opposition au projet de loi Sarkozy, et l’annonce de nouvelles manifestations, notamment quand celui-ci sera discuté à l’Assemblée nationale. Sur le constat qu’un ample réseau féministe et abolitionniste est en train de se constituer, le groupe s’est dispersé aux cris de « Vive l’amour libre et gratuit! »
Florence Montreynaud
Réseau « Encore féministes! »
Maison des femmes, 163 rue de Charenton 75012 Paris