par Lee Lakeman
SECTION 1. INTRODUCTION
La plupart des femmes, je pense, sont conscientes du fait que les hommes ne nous traitent pas de manière équitable et que les détenteurs du pouvoir mondial conservent aux hommes un statut plus élevé que celui des femmes. La plupart des femmes savent que, dès la naissance, elles se heurtent à des limites imposées à leur vie qui n’ont rien à voir avec leurs talents, leur habileté ou leur détermination. Je pense que la plupart des femmes, dans la plus grande partie du monde, vivent en réaction constante contre cette réalisation.
La plupart des femmes vivent en résistance contre l’oppression par les hommes mais cette résistance n’est pas toujours efficace. Parfois, elle n’est pas même très consciente. L’organisation féministe, me semble-t-il, consiste partiellement à prendre conscience de soi-même dans son attitude de résistance et prendre davantage conscience des autres. Cela signifie faire face à la nature et à l’étendue de l’oppression des femmes. C’est devenir de plus en plus engagée et efficace dans le cadre de la résistance des femmes à cette oppression.
Par processus féministe, on veut dire suppléer aux bonnes pratiques démocratiques, pour faciliter l’action organisée des femmes dans leur travail vers la justice et l’égalité pour toutes. Ces pratiques enrichissent et illustrent l’organisation démocratique plutôt que de la remplacer.
Au cours de ces vingt dernières années, nous avons appris beaucoup de choses qui pourraient être utiles aux nouveaux groupes DAWN. Mais j’ai décidé que ma meilleure contribution à ce projet consiste à mettre en lumière quelques points seulement.
SECTION 2. LE DÉVELOPPEMENT CONTINU D’UN GROUPE
Les groupes de femmes en sont toujours à une étape quelconque de croissance. Ils mûrissent, ils diminuent, ils connaissent une expansion, ils se divisent, ils se multiplient et ils peuvent même avoir un comportement adolescent. De nouveaux membres et de nouvelles idées viennent constamment les régénérer.
Je trouve qu’il est utile de penser à un groupe comme étant en évolution constante, délicat et ayant besoin qu’on le cultive constamment. Si un groupe ne bénéficie pas de ce soin et de cette attention, il ne s’épanouira pas automatiquement.
La prise de conscience pourrait être l’outil le plus important du féminisme moderne. Depuis les années 60 et 70, les femmes se rassemblent en petits groupes (5-30) pour parler ensemble de leur vie. Ce faisant, on constate que de nombreux événements, que de nombreuses expériences, ne nous arrivent pas tout simplement parce qu’on s’appelle Chantal ou parce qu’on est grande ou parce qu’on mange trop ou parce qu’on se comporte d’une manière particulière. Si nous sommes curieuses, diligentes et sérieuses, nous observons une similarité entre la façon dont le monde nous traite et nous positionne parce que nous sommes des femmes.
Exprimer ces similarités peut nous soulager d’un fardeau inapproprié de culpabilité ou d’un sens de l’échec. Apprendre combien d’autres femmes se sont mariées avec des hommes qui les abusent et abusent leurs enfants est une expérience d’horreur en même temps que de soulagement. Nous savons que les maris commencent souvent à battre leur femme après la première grossesse ou au moment où le dernier enfant entre à l’école. Nous pouvons alors arrêter de passer beaucoup de temps à nous demander ce que nous avons fait, individuellement, pour provoquer sa violence. Nous verrons probablement alors que n’importe quel changement dans notre statut vis-à-vis de lui aura peut-être déclenché cette lutte violente pour un pouvoir accru.
La plupart des groupes de femmes bénéficient beaucoup des techniques de prise de conscience. Raconter des incidents personnels pour découvrir des points communs et donc des réalités politiques, cela fait partie de nos activités régulières. Cela fait partie de la manière dont nous nous écoutons mutuellement. Nous cherchons toujours à dégager les fils communs. Une fois qu’on les trouve, on les nomme et on les analyse. On peut alors en discuter et réfléchir aux stratégies possibles.
Il y a bien sûr des dangers à éviter. Par exemple, certains centres d’agression sexuelle se sont lancés dans une discussion, celle de savoir si les intervenantes doivent toujours être des femmes qui ont été violées ou si elles devraient être des femmes qui, si elles ont été violées, ont depuis guéri ou ont surmonté cette agression. Ces deux perspectives sont fondées sur des arguments valables mais, en fin de compte, aucune n’est tout à fait juste. Selon la théorie féministe, le viol et la crainte du viol contrôlent toutes les femmes. Chacune d’entre nous a été victime d’une attaque, depuis l’enfance, et aucune d’entre nous ne peut faire face efficacement à sa vulnérabilité au viol comme si celle-ci ne faisait pas partie de notre passé et de notre avenir. Il est évident qu’être femme, avoir vécu et grandi comme femme suffit.
Le «séparatisme féministe» est étroitement relié au travail de tout groupe de prise de conscience. Les femmes qui luttent pour l’égalité, comme de nombreux autres groupes, choisissent souvent de s’organiser en dehors des gens qui exercent les privilèges à nos dépens, en dehors des gens qui ont tout à gagner de l’oppression des femmes. Tout comme les femmes sont toujours en résistance à leur exploitation, nous sommes toutes, d’une manière ou d’une autre, conscientes de ce fait. Quand des hommes entrent dans une pièce pleine de femmes, nous nous comportons de manière différente. Parfois, ce comportement est motivé par la crainte des hommes ou par le désir de posséder ce qu’ont les hommes. Parfois, nous sommes motivées par la colère. Les hommes nous ont séparées du groupe humain auquel nous appartenons et insistent pour nous traiter de manière différente et injuste. Parfois, nous insistons sur notre droit de regrouper celles qui ont été mises à l’écart par les hommes pour organiser notre résistance contre les hommes. Nous appelons cette insistance à travailler seulement avec celles qui partagent la même oppression, «séparatisme féministe». Ceci est souvent sage sur le plan juridique, éthique et souvent politique. Pour les nouveaux groupes Dawn, cela pourrait vouloir dire refuser l’inscription aux femmes non handicapées. Pour les groupes de femmes, cela signifie ne pas inviter les hommes à se joindre à nos groupes.
Aspect personnel/aspect politique. En plus des groupes de prise de conscience en tant que tels, nous pouvons partager des informations personnelles lors des rencontres par le biais d’un tour de table préliminaire, de temps consacré au partage ou de soirées sur des sujets spéciaux. Je recommande que toute réunion commence par un tour de table où chacune partage son état d’esprit et son niveau de bien-être et où chaque personne est encouragée à parler des changements importants affectant sa vie, comme faisant partie intégrante de la réunion. Je recommande aussi que chaque membre se charge de voir au bien-être personnel de chacune, à l’aide des ressources collectives, mais aussi de veiller au bien-être du groupe en prenant note des situations où le groupe devient trop nombreux ou trop petit, des situations où il est menacé pour une autre raison, et intervienne.
Comme nous sommes si bien préparées à utiliser les vies et histoires personnelles de nos membres comme sources d’information politique, il faut aussi reconnaître que l’activité politique de nos membres et les informations politiques qu’elles nous fournissent sont de nature profondément personnelle. Je pense que nous sommes sages de penser que les femmes de notre groupe font de leur mieux la plupart du temps. Quand nous sommes en conflit entre nous, il est bon d’adopter à l’égard des autres une attitude compréhensive et de prendre en considération nos points forts et nos points faibles personnels. Nous renforçons le groupe en assumant la responsabilité de nous enseigner les unes aux autres des techniques, des attitudes, des données et des processus qui pourraient être utiles. Nous avons besoin de nous corriger mutuellement. Cependant, ce dont nous avons surtout besoin, c’est de nous encourager et de nous soutenir les unes les autres. Des relations de respect et d’égalité au sein du groupe doivent être une priorité. Il faut éviter les cliques personnelles et les liens d’interdépendance. Selon moi, il s’agit là d’activités politiques auxquelles le groupe devrait consacrer du temps et de l’énergie, comme faisant partie des réunions régulières et des processus habituels. Cet encouragement et ce soutien au sein du groupe expliquent pourquoi les organisations féministes durent plus longtemps que la plupart des autres. Il ne s’agit pas simplement d’une solution de facilité pour les femmes. Cela fait partie de notre force politique et de notre persévérance en vue de la longue lutte qui se profile à l’avenir.
Il faut encourager la chaleur humaine et l’aide mutuelle entre les membres sans pour autant considérer que le groupe de défense des intérêts est une communauté destinée seulement ou principalement au bien-être de ses propres membres. Tout groupe de femmes valable existe pour l’avancement de toutes les femmes. Bien que le groupe ne doive pas sacrifier ses propres membres, il ne devrait pas non plus faire toujours passer ses membres en premier. Parfois, nous devons insister pour que le mouvement vienne à notre aide et il y a d’autres moments où nous devons porter secours aux autres. Notre clarté et notre honnêteté concernant notre engagement personnel et politique envers les autres et les exigences mutuelles aident le groupe à décider des critères d’inscription au groupe. On pourra ainsi mieux planifier le volume de travail et les moments de détente, les responsabilités personnelles privées et les responsabilités collectives, ce dont le groupe devra discuter et ce qu’il sera préférable de garder sous silence.
Le fondement de l’unité
Le groupe doit choisir une direction. Va-t-il s’agir principalement d’un groupe de femmes dévouées qui tentent d’identifier et d’aider les femmes handicapées ayant besoin d’aide? S’agira-t-il d’un petit groupe de femmes handicapées bien adaptées donnant publiquement des conseils aux autres femmes handicapées sur la manière de fonctionner dans la vie et parlant au nom des femmes handicapées en général? S’agira-t-il d’un groupe de femmes qui étudieront les problèmes des femmes handicapées et publieront leurs résultats? Qu’espérez-vous avoir en commun en tant que groupe à part le fait d’être handicapées? Qui n’aura pas le droit de s’inscrire au groupe? Qui allez-vous particulièrement courtiser et encourager à s’inscrire? Que doivent être prêtes à faire les femmes qui désirent s’inscrire au groupe? Combien de temps devront-elles consacrer au groupe chaque semaine?
S’agit-il d’un groupe de service ou d’un groupe d’avant-garde, d’un groupe d’étude, d’un groupe de prise de conscience ou d’un groupe d’affinités? Chacun de ces types de groupe possède une structure et des processus logiques propres qui correspondent à l’objectif du groupe.
Selon mon opinion, bien qu’un groupe féministe activiste soit à un moment donné un peu tout ce qui précède, il est préférable de savoir et de décider à l’avance quel sera votre objectif principal. Au mieux, je pense à mon groupe comme à un petit rassemblement (de moins de trente personnes, délibérément) de femmes qui ont décidé de se joindre pour multiplier leur efficacité et se soutenir mutuellement dans leur lutte. La première priorité de mon groupe est de gérer un centre d’agression sexuelle avec un refuge et une ligne téléphonique pour les femmes abusées. Alors, quand nous entraider interfère avec cet objectif, nous savons que nous sommes allées trop loin. Nos membres ont alors besoin de combler leurs besoins ailleurs ou de quitter le groupe. Bien que nous en arrivions rarement à ce point, il est important que nous sachions toutes, dès le départ, ce que nous nous efforçons d’accomplir.
Dans notre groupe, nous procédons à des rotations et nous nous répartissons différentes tâches, mais nous avons décidé d’effectuer toutes le même travail essentiel au sein de l’organisme. Nous nous relayons donc, chacune à notre tour, pour répondre au téléphone et gérer le refuge. De cette façon, nous avons en commun des tâches semblables auxquelles nous pouvons réfléchir et dont nous pouvons parler. Et nous faisons toutes une partie du travail vital. Quand nous ne nous apprécions pas beaucoup mutuellement ou quand nous sommes fatiguées d’être en groupe, nous pouvons toujours intervenir auprès des femmes en crise. Ceci est fondamental, ceci est au coeur même de notre travail. Depuis vingt ans, personne n’a été si en colère ou si stupide ou si absorbée par elle-même au point de quitter son travail à la ligne téléphonique ou à la maison de transition.
Nous traitons les réunions du collectif avec pratiquement le même sérieux. Et comme tout le monde sait combien il est difficile de continuer dans cette lancée, nous manifestons une confiance et un respect mutuels toujours croissants. Et cela, avant qu’aucune d’entre nous ne fasse quelque chose d’exceptionnel. Je pense que tout groupe d’activistes devrait formuler un engagement régulier auquel il faudrait réfléchir, dont il faudrait parler et accepter de ne jamais abandonner. Ce devrait être un minimum très clair sur lequel il faudra s’entendre toutes.
Pour terminer, la marque distinctive de la plupart des groupes féministes, c’est que tous leurs membres sont responsables du développement de la théorie ainsi que du volume de travail, et qu’on s’attend à ce que chacune développe sa réflexion sur la manière de provoquer des changements sociaux, en réfléchissant constamment à ce qu’elle observe et apprend, et à ce qui a été effectué. Nous nous attendons à ce que tout le monde au sein du groupe lise, écoute, apprenne à enseigner, à évaluer et à s’adapter. Il n’y a pas d’avant-garde intellectuelle. Nous suivons celles qui ont les meilleures idées mais nous menons l’action quand c’est notre tour d’avoir une bonne idée.
SECTION 3. LE SUCCÈS EN TANT QUE GROUPE DE FEMMES
Pour la masse/Contre la masse
C’est pour une raison spécifique que nous nous regroupons. Nous voulons améliorer notre efficacité pour mieux résister à l’oppression des femmes, pour nous-mêmes et pour les autres femmes. Comme établir la liberté nécessite notre travail à toutes, aucune d’entre nous ne devrait se considérer libre à moins que nous ne soyons toutes libres.
Rassembler d’autres femmes augmente notre force de manière évidente mais de manière subtile également. Nous disposerons d’une intelligence accrue (au sens de la PC). En général, plus nous rassemblons de femmes, plus nous disposons pour le groupe de main-d’oeuvre, d’intelligence et de contacts.
Une limite émerge dès que le groupe est trop massif pour permettre des contacts personnels réguliers et pertinents. Le manque de confiance affaiblit les liens entre les membres du groupe et tout le monde adoptera un mode de relation plus froid. Les femmes arrêteront d’offrir le meilleur d’elles-mêmes au projet entrepris par le groupe. La seule solution que nous ayons trouvée est de nous diviser la plupart du temps en petits comités de travail du groupe principal. Le petit groupe devient alors l’endroit où les autres vous connaissent vraiment, où l’on vous comprend, où l’on comprend votre contribution.
La diversité des membres
Il faut planifier et travailler pour obtenir la participation à nos groupes des membres désirés. Est-il important pour vos objectifs d’avoir une variété de femmes comme membres? Voulez-vous attirer des femmes jeunes à cause de leur énergie et des possibilités de travail à long terme ou préférez-vous attirer des femmes plus âgées à cause de leur expérience? Désirez-vous attirer une femme de chaque milieu ou est-ce que vous voulez démontrer que votre groupe est ouvert à toutes les femmes handicapées? Souvent, les groupes de femmes résolvent ces questions en s’efforçant de refléter la composition de la population. Parfois, il est nécessaire d’avoir une masse critique plus volumineuse que la population en général d’un certain groupe de femmes, pour mieux se faire entendre et comprendre. Par exemple, les femmes de couleur trouvent qu’il est plus facile et plus confortable de se trouver en pourcentage plus élevé que dans la population canadienne. Ceci réduit la possibilité de racisme et améliore leur capacité de lutter contre le racisme quand il se présente. Dans ces cas, vous pourriez viser le pourcentage de la population mondiale. Mais il arrive parfois que la masse critique soit le pourcentage qui rend la diversité efficace pour tout le monde. Ce sont des décisions que l’on doit prendre selon les critères qui déterminent votre efficacité dans la lutte pour le changement social, sans être basées sur la culpabilité, la sympathie ou l’idéalisme.
Les alliées
Il est aussi important d’accepter les imperfections du groupe. Demandez-vous régulièrement qui manque à votre groupe et demandez-vous si ceci pourrait vous pousser à faire des erreurs. Efforcez-vous de trouver à l’extérieur de votre groupe des alliées qui vous dirigeront dans la bonne direction. Par exemple, si vous discutez de l’«adaptation» et de ce que l’on devrait demander aux employeurs de faire, et que, dans votre groupe, vous n’avez pas de femmes qui occupent des postes à temps plein, vous pourriez peut-être demander à une représentante syndicale locale de discuter avec vous de cette question.
Il est évident qu’aucun de nos groupes ne s’attend à obtenir beaucoup de succès seul. C’est notre travail joint au travail d’autres groupes qui détient le pouvoir réel de transformation. Nos groupes doivent réserver du temps, de l’énergie et parfois de l’argent à ce travail en vue d’alliances. Lire des bulletins de nouvelles et des feuillets d’information, inviter des conférencières, participer à des campagnes et à des coalitions nous renforce et nous enseigne beaucoup de choses. Cela nous permet de solliciter un soutien dans nos actions et dans nos initiatives, et nous aide à comprendre quel appel à l’action pourra donner de bons résultats dans notre communauté. Dans mon groupe, nous accordons la priorité en premier aux demandes ou aux appels venant de groupes de femmes et, en deuxième, aux groupes de lutte contre la pauvreté. Avec qui allez-vous vous allier? Avec qui allez-vous rechercher une alliance? Quelles seront les conditions de ces alliances?
La praxis
L’évaluation et la planification sont importantes sinon vitales en vue d’une action efficace. Nous, les femmes, trouvons qu’il est particulièrement difficile de continuer de nous mesurer nous-mêmes et de mesurer les autres pour déterminer notre niveau d’efficacité. Sinon, nous pourrions gaspiller beaucoup de temps et d’énergie. Nous pouvons choisir de nous sentir mieux au lieu d’obtenir de meilleures conditions pour nous-mêmes et pour les autres. Dans mon groupe, nous nous moquons des «bons points» attribués pour la douleur. Nous admettons que nous adoptons toutes un jour ou l’autre ce type d’attitude de martyre, mais nous ne lui accordons pas de valeur. Nous connaissons toutes le type d’attitude qui consiste à dire : «nous travaillons toutes trop fort» ou quand nous n’avons pas réussi à exécuter une tâche, à dire : «nous nous sommes toutes si impliquées que nous nous sommes brûlées». Au lieu de cela, nous nous efforçons vigoureusement de quantifier nos plans pour la journée, pour le mois ou pour l’année. Nous formulons, verbalement ou par écrit, ce que nous nous attendons à accomplir, puis nous mesurons aussi froidement que possible si nous avons atteint notre but ou non, et nous tentons d’expliquer pourquoi. Ce processus fournit un encouragement quand nous avons remporté un succès, permet de corriger ce qui n’a pas marché et de tirer d’autres plans pour le lendemain, pour le mois prochain ou pour l’année prochaine. Il y a deux choses qui sont difficiles pour nous : oser croire que nous pouvons changer certaines choses, comme le nombre de femmes qui nous appellent ou le nombre d’allocutions que l’on nous demandera de prononcer et, deuxièmement, oser nous attribuer le crédit pour ce que nous avons réussi.
Mais il est important de nous évaluer encore plus sur une base quotidienne. Chacune d’entre nous, comme membre du groupe, est responsable de la réflexion, concernant ce qui, selon nous, aboutira à des changements sociaux, sur ce qui gardera le groupe cimenté, sur ce que nous devrions réaliser en collaboration. Puis, chacune de nous travaille et observe l’impact de ce travail. Ensuite, chacune d’entre nous doit y repenser de nouveau. Nos idées originales étaient-elles correctes ou utiles? Faut-il changer quelque chose?. Ce processus de va-et-vient entre action et réflexion est continu. C’est ce qui nous rend plus fortes, mieux capables de réfléchir et de mener le groupe, plus capables de participer au processus collectif, parce que nous avons des opinions, des idées, des craintes et des sujets de fierté propres.
Enfin, c’est l’opinion des membres du groupe qui est importante, mais nous sollicitons aussi les critiques et les encouragements de nos alliées afin de suppléer à nos concepts internes. Et quand d’autres à part nos alliées nous critiquent ou nous félicitent, nous réfléchissons longuement à ce que cela veut dire. Parfois, on veut dire l’opposé. Nous pensons au fondement de notre unité, devant qui nous prévoyons être responsables, et nous nous demandons une fois de plus si nous faisons tout notre possible. Ceci n’est pas une perte de temps. Ainsi, nous devenons plus fortes et plus sûres de nous-mêmes. Ou nous changeons.
SECTION 4. LA GOUVERNANCE D’UNE ORGANISATION FÉMINISTE
Collectif : Il est très courant pour les femmes de s’organiser en groupes d’affinités ayant une structure collective. Par cela, nous voulons dire des groupes de femmes ayant des idées semblables, qui se rassemblent volontairement et qui adoptent une structure au sein de laquelle chacune est égale aux autres. Généralement, il n’y a pas d’élection de cadres et les femmes assurent à tour de rôle la présidence des réunions ou prennent leur tour pour jouer le rôle de facilitatrice d’un processus d’apprentissage ou de coordinatrice d’une action.
La raison pour laquelle nous sommes attachées à l’idée de collectif, ce n’est pas seulement parce que les femmes sont entraînées depuis l’enfance à collaborer et trouvent cela assez facile. Mais comme l’égalité est ce que nous recherchons, le collectif devient une pratique pour l’avenir. D’autres avancent que le collectif assure la force du groupe en veillant à ce que chaque membre soit capable de le guider et démontre que les chefs ne sont pas irremplaçables. Bien qu’il ne soit pas si facile de créer des leaders, il est ainsi possible de garder le groupe mieux encadré que par le biais d’un ordre hiérarchique.
Dans un collectif, les femmes occupent souvent à leur tour le poste officiel de présidente de la réunion, en ayant une certaine responsabilité en ce qui concerne les dates, en proposant un ordre du jour en plus de réunir les membres et, parfois, en suggérant des méthodes de résolution des problèmes par des processus innovateurs qui assureront le succès de la réunion.
Les femmes pourraient choisir une facilitatrice pour une séance d’évaluation, par exemple, qui proposerait au groupe la manière de procéder à l’évaluation cette fois-ci et où, avec qui entamer un dialogue pertinent dans le cadre de ce processus. La coordinatrice d’une action pourrait préparer l’ébauche d’une affiche, suggérer une stratégie pour obtenir l’attention des médias ou pour contacter des alliées lors d’une manifestation. Ces idées pourraient être présentées au groupe en vue d’une discussion et d’une modification, puis elle pourrait être chargée de prendre les mesures nécessaires.
L’autorité ne signifie pas leadership
Nous avons besoin de leaders ayant de bonnes idées et la capacité de convaincre les gens de la valeur de leurs idées. Nous avons également besoin de femmes capables d’exercer leur autorité dans certaines situations, en sachant que le groupe les autorise à le faire.
Nous savons que souvent ces deux aspects sont confondus. La présidente, par exemple, doit conserver l’ordre lors des réunions mais on espère qu’elle pourra collaborer avec toute personne ayant de bonnes idées à présenter à la discussion. On trouve souvent que celles qui ont des idées à offrir ne respectent pas l’ordre du jour, et il est donc important d’avoir une présidente qui saura la limiter à discuter précisément de ce qu’elle propose. Une bonne présidente aide les participantes à parler, à réfléchir et à sentir, sans pour autant noyer l’inspiration du chef. Comme les chefs, bien sûr, n’ont pas toujours raison, il faut constamment réfléchir pour savoir si et quand les suivre.
L’autorité appartient au groupe. C’est le groupe qui décide des règles et de la manière dont l’autorité sera exercée. Par exemple, si la présidente doit parler pendant la réunion pour exprimer sa propre opinion ou si elle doit rester silencieuse ou «passer la présidence» à quelqu’un d’autre aux moments où l’on discute d’un sujet qui la concerne. Combien de pouvoir une facilitatrice ou une coordinatrice a-t-elle pour prendre les décisions et comment présente-t-elle au collectif les mesures qu’elle a prises ou désire prendre? Qui évalue ce travail, quand et selon quelles normes? On devrait discuter de tout ceci à l’avance. Les femmes trouvent qu’il est particulièrement difficile d’accepter l’autorité et de se sentir à l’aise en l’exerçant.
Le leadership signifie à la fois mettre une idée en action et rassembler des participantes. Bien que cela soit un peu plus difficile que simplement décider de le faire, il ne s’agit pas d’un tour de passe-passe. Nous pouvons chacune d’entre nous décider de pratiquer à présenter nos idées et convaincre les autres, et nous pouvons nous entraîner à réfléchir à un problème jusqu’à ce que nous trouvions une solution. Les chefs ne sont pas des génies. Souvent, leurs idées ont déjà été adaptées à une autre situation ou ont été apprises dans des livres ou empruntées à des activistes plus timides. Nous pouvons toutes améliorer nos qualités de chef. Et dans le cadre du processus féministe, nous sommes toutes d’accord pour vouloir le faire.
Le consensus est un processus de prise de décisions courant dans les collectifs. Quand on compte les votes et quand on détermine qui a la majorité, il y a souvent des gagnantes et des perdantes, alors qu’il pourrait y avoir une victoire pour toutes. Dans le modèle du consensus, les femmes s’efforcent de se convaincre mutuellement et d’arriver à un compromis, jusqu’à ce que tout le monde soit satisfait d’avoir adopté une décision raisonnable. Le processus de prise de décisions par consensus nécessite de la maturité et de la générosité de la part des femmes ou des femmes en minorité, qui ne font pas obstacle sans raison au reste du groupe, et de la part de la majorité, qui apprécie la contribution intelligente de la minorité au point de consacrer du temps à travailler à un compromis avec la minorité. Dans mon groupe, nous sommes parfois d’accord pour voter sur des décisions peu importantes mais, si quelqu’un juge une question comme étant importante et le dit, on tente d’arriver à un consensus.