Par Par Mary Crnkovich
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Préparé pour l’Institut canadien d’administration de la justice à Banff (Alberta), 11-14 octobre 1995.
Reproduit ici avec la permission de l’auteure. Veuillez noter qu’aucune partie de ce document ne peut être reproduite sans la permission de l’auteure. Ce document ne peut être mentionné dans d’autres textes qu’avec des citations exactes.
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Aujourd’hui, on peut s’attirer des critiques de toutes les directions si l’on s’élève contre les options de rechange au système de justice existant. Particulièrement provenant de quelqu’un comme moi, une non-autochtone, avocate féministe.
Bien que je me propose d’aborder le rôle des femmes inuites comme victimes du système de justice criminelle, je ne parle pas au nom des femmes inuites et je ne les représente pas. Je suis plutôt ici aujourd’hui pour parler des expériences que j’ai partagées avec les femmes inuites au cours de ces dernières années, dans le cadre de mon travail sur un projet juridique avec l’Association nationale des femmes inuites, Pauktuutit.
Sous de nombreux aspects, le privilège qui m’a été accordé de travailler avec des femmes inuites a mis en lumière à la fois les avantages et les inconvénients du système de justice existant d’une manière que peu d’entre nous dans cette pièce ont pu le faire : aborder le système judiciaire de la perspective d’une femme Inuk, comme victime de violence perpétrée par un autre Inuk de sa propre communauté.
La place spéciale que j’occupe me met souvent, comme beaucoup de femmes avec lesquelles je travaille, en opposition directe avec ceux qui conçoivent et mettent en vigueur des réformes du système de justice criminelle, politiciens et juges inuits et non inuits. Cette opposition s’élève non parce que je ne partage pas les mêmes buts ou objectifs mais parce que les moyens recommandés pour atteindre ces objectifs créent des conflits.
Ceci dit, il est important d’expliquer pourquoi je suis ici et ce dont je me propose de parler.
J’ai accepté de participer à cette conférence parce que je sens qu’il s’agit d’une occasion unique de partager des inquiétudes et de poser des questions sur les options recommandées pour les communautés inuites, particulièrement l’option de cercle de détermination de la peine.
Dans ma présentation, je me propose de souligner les questions découlant de l’utilisation du cercle de détermination de la peine, en mettant l’accent sur certaines des hypothèses proposées par ceux et celles qui ont participé au premier cercle de détermination de la peine qui s’est réuni dans une communauté inuite de Nunavik (nord du Québec). Avant d’examiner ces hypothèses en plus grand détail ainsi que les questions qui se posent, il serait utile de passer en revue le contexte dans lequel ces options sont présentées, le système judiciaire tel qu’il existe dans les communautés inuites d’aujourd’hui. Ceci sera suivi par une brève discussion du concept de cercle de détermination de la peine.
Le système de justice existant dans les communautés inuites
Environ 40 000 Inuits vivent au Canada. Jusqu’aux années 1960, la plupart des Inuits vivaient selon un mode de vie traditionnel. Aujourd’hui, ils résident principalement dans 52 communautés éparpillées dans l’Arctique occidental, le Nunavut (la partie nord et est des Territoires du Nord-Ouest) et le long de la côte du Québec (Nunavik) et du Labrador. La langue officielle de travail dans la plupart de ces communautés est l’inuktitut.
Dans les six communautés où les Inuits vivent au Labrador : Nain, Hopedale, Makkovik, Postville, Rigolet et Happy Valley Goose Bay, trois seulement disposent de services policiers permanents. Les trois autres communautés reçoivent des visites de la police une fois par mois pendant quelques jours ou plus fréquemment s’il y a une urgence ou crise spécifique. Le tribunal arrive par avion, y compris le juge, le conseiller de la Couronne et le conseiller de la défense et le préposé du tribunal s’il y en a un. Il n’y a pas de juge travaillant en permanence dans aucune des communautés de la côte nord. Il y a un seul juge qui est inuk. Il n’y a pas de salle de tribunal dans les communautés. Les tribunaux peuvent se réunir dans les salles communautaires ou autres édifices communautaires, selon ce qui est disponible.
Dans ces mêmes trois communautés, il n’y a pas de (?????) ni de travailleurs spécialisés en services aux victimes. Il n’y a qu’un seul refuge pour les femmes, qui est situé dans la plus grande des communautés et ne compte aucune femme inuite à son emploi.
À Nunavik, le tribunal se réunit aussi en venant par avion. Il n’y a pas de juge ni d’avocat inuits. Il y a quelques Inuits formés à des tâches spécialisées qui fournissent une interprétation juridique pour le tribunal. Comme au Labrador, le tribunal se réunit dans tout édifice disponible. Il est censé y avoir trois agents de probation, un basé à Kuujjarapik, desservant les sept communautés inuites de la côte de l’Hudson et deux résidant à Kuujjuaq pour les sept communautés inuites de la côte d’Ungava. Il n’y a pas eu d’agent de probation pour la côte de l’Hudson au cours des huit derniers mois environ. En ce qui a trait aux services de police, il y a au minimum un agent autorisé pour chaque communauté à l’exception de Kuujjuaq qui en a quatre, Povungnituk qui en a trois et Salluit, Inukjuak et Kuujjarapik en ayant deux chacun. En plus des agents de la Sûreté du Québec, la force de police autorisée pour Nunavik inclut 22 gendarmes spéciaux inuits et neuf agents de liaison qui aident, supervisent et forment des gendarmes spéciaux. En réalité, ces postes sont rarement comblés à cause d’un changement constant de personnel. Dans un rapport préparé par la SQ en avril 1993, le taux d’agents par résident était de un pour 400 alors qu’en théorie, cette proportion doit être d’un pour 350 si tous les postes autorisés sont remplis. Ce que cela veut dire c’est que, comme au Labrador, il y a des communautés qui ne peuvent compter sur aucune présence policière.
Sur les quatre régions principales où résident des Inuits, l’Arctique occidental et le Nunavut offrent les meilleurs services sur le plan de la police, des agents de probation et des services de tribunaux. Cela ne veut pas dire que les services sont adéquats. Peut-être à l’exception d’Iqaluit, où un juge réside en permanence, le tribunal, le service d’aide juridique, le groupe de défense des intérêts des victimes géré par des femmes inuites et une force de police basée en permanence, les services sont légèrement meilleurs qu’au Labrador et à Nunavik. Il y a des juges de paix travaillant dans les communautés de Baffin de manière régulière. Ils s’occupent des questions de déclaration de culpabilité par procédure sommaire, de circulation et d’infractions aux arrêtés municipaux. Il y a une présence policière dans la plupart des communautés des régions de Baffin et de Kitikmeot. Dans le Keewatin, il y a des policiers établis en permanence dans quatre des sept communautés. Il n’y a pas de services d’aide juridique basés en permanence dans le Kitikmeot et seul un avocat de l’aide juridique réside en permanence dans la région de Keewatin. Pour ces deux régions et les communautés de Baffin autres qu’Iqaluit, le tribunal venant par avion avec un juge, un conseiller de la Couronne, un conseiller de la défense, un aide judiciaire et un interprète est la seule option disponible.
Qu’est-ce que le cercle de la détermination de la peine?
Pour de nombreuses personnes, le cercle de la détermination de la peine est un concept dont elles ont entendu parler mais avec lequel elles n’ont pas d’expérience directe. Ceci peut être attribué au fait qu’il s’agit d’une pratique «traditionnelle» très récente qui a été introduite dans les communautés autochtones du Canada.
Le cercle de la détermination de la peine a été introduit à un grand nombre d’entre nous par l’honorable juge Barry Stuart du Tribunal territorial du Yukon dans sa décision R. v. Moses, 11 C.R.(4e) 359.
Dans sa décision de 1991, le juge Stuart expliquait les objectifs des cercles de détermination de la peine.
Comme de nombreuses études soulignent l’imprudence de trop compter sur la punition comme étant l’objectif central de la détermination de la peine, on accorde donc une plus grande importance à la réadaptation et à la réconciliation. Tous ces changements exigent que les communautés s’engagent plus activement et assument une plus grande responsabilité de la résolution des conflits. Pour représenter une participation communautaire significative, le processus de prises de décisions doit être modifié pour que le pouvoir soit partagé avec la communauté et, dans les cas appropriés, les communautés doivent avoir le pouvoir de résoudre de nombreux conflits arbitrés actuellement devant les tribunaux criminels.
Depuis cette décision, les cercles de détermination de la peine ont été utilisés dans de nombreuses communautés autochtones de tout le Canada. Ces cercles de détermination de la peine s’efforcent d’incorporer ce qui a été identifié comme étant des traditions et des valeurs autochtones. Il est très important de signaler clairement que le cercle de détermination de la peine n’est pas en soi une «pratique traditionnelle» des nations autochtones du Canada qui serait réintroduite actuellement. C’est tout à fait une création neuve découlant du système existant qui a été introduite dans les communautés autochtones, en grande partie par le système judiciaire desservant ces communautés.
Bien que le juge Barry Stuart ne soit pas le seul juge incorporant des cercles à ses audiences de tribunaux, il est considéré par plusieurs comme la personne la plus au courant de ce processus, ayant le plus d’expérience dans ce domaine. Il serait donc utile de réfléchir à ses commentaires sur le cercle de détermination de la peine.
Fondamentalement, le cercle de détermination de la peine déplace l’emphase, dans la recherche de solutions, des symptômes vers les causes. La discussion dans les cercles, à la différence des tribunaux, n’isole pas l’acte criminel du milieu social, économique et familial ayant donné lieu au délit. De plus, à la différence des tribunaux, le cercle de détermination de la peine va au-delà du délinquant pour inclure les intérêts, les inquiétudes et les circonstances du délinquant, de sa famille, de la victime et de la communauté. … La peine tente de remédier aux causes du délit en général, dans la communauté et, spécifiquement, aux conditions aboutissant à la conduite délinquante de l’accusé.
L’intérêt et le soutien accordés à cette option de détermination de la peine sont en partie attribuables à la surreprésentation des hommes et des femmes autochtones dans les établissements pénitentiaires fédéraux et provinciaux. Bien que les Autochtones ne représentent que 62 % de la population des Territoires du Nord-Ouest, ils représentent 84 % de la population carcérale en 1985-86, 40 % étant des Inuits (Kitchen, 1987 : 46). Ce pourcentage a augmenté chaque année pour atteindre un pic en 1990-91 quand 91 % des prisonniers des Territoires du Nord-Ouest étaient autochtones (Centre canadien de la statistique juridique, 1994). Le taux d’incarcération par tête dans les Territoires du Nord-Ouest en 1991-92 était de 184 pour une population totale de 10 000 personnes, soit le taux le plus élevé parmi toutes les provinces et tous les territoires. Par comparaison, le taux d’incarcération canadien par tête pendant la même période était de 44 pour 10 000. Dans les Territoires du Nord-Ouest, le taux d’incarcération pour la population adulte est cinq fois plus élevé que dans le reste du Canada…
Voir E. Andreas Tomaszewski (1995) : Rethinking Crime and Criminal Justice in Nunavut, thèse de maîtrise, Ottawa : Université Carleton, p. 39. De nouvelles alternatives à l’incarcération sont recherchées par de nombreuses personnes vivant dans la communauté et par celles qui traitent avec les communautés, à cause de la surreprésentation des nations autochtones dans les établissements pénitenciers, le récidivisme et les niveaux à la hausse de délits dans les communautés inuites, pour ne nommer que certaines des raisons citées par les chefs politiques inuits et les membres de la communauté. Un grand nombre d’entre eux se sont élevés contre l’incarcération comme réponse efficace au désordre social et à la criminalité dans les communautés inuites. Étudier plus avant les causes de cette situation dépasse la portée de cet article mais il suffit de dire que de nombreux Inuits considèrent la prison comme étant une mesure inadéquate.
Par conséquent, ce mécanisme de justice «réparatrice» ou «populaire» est considéré plus souhaitable pour faire face à la criminalité et au désordre qu’aux mécanismes rétributifs comme l’incarcération parce que, comme d’autres modèles de justice réparatrice, il vise à dépasser le cadre étroit des questions juridiques pour formuler une réponse intégrant le contexte social plus vaste. Dans sa critique des cercles de détermination de la peine, la Dre Carol La Prairie explique :
[ Les cercles de détermination de la peine ] sont généralement envisagés comme étant basés sur les cercles traditionnels autochtones de guérison et les cercles de vie et sur la croyance que les formes traditionnelles permettant de faire face au désordre, auxquelles on se réfère comme «systèmes de justice autochtone» avaient recours aux cercles pour faciliter la réconciliation et la paix plutôt que la rétribution et la dissuasion … Ce qui est visé ici est une justice sociale plutôt que strictement juridique; l’accent est mis sur l’octroi de pouvoir aux personnes marginalisées par les systèmes juridiques courants; l’objectif est de contextualiser la justice; l’objectif est de remettre le conflit en les mains de ses propriétaires véritables.»
Le processus visant à déterminer quels cas ou types de cas sont admissibles au processus de détermination de la peine, qui participera au cercle, le mode de fonctionnement du cercle et les mesures de suivi semble varier selon la communauté et le juge. Il n’existe pas de normes ou de lignes directrices précisant comment doit fonctionner ce processus, comment déterminer les cas qui sont admissibles à cette approche et qui peut ou doit y participer. Bien qu’il soit clair que les juges à l’extérieur du Yukon se soient tournés vers le juge Stuart pour obtenir des conseils et une direction, tous les cercles ne sont pas identiques. Certaines personnes qui soutiennent cette approche sont en faveur de la souplesse et suggèrent que les différences sont attribuables à la diversité des communautés. Il est apparent que le processus et la structure de cette approche dépendent beaucoup du niveau de participation communautaire à la conception, à la mise en vigueur et à la gestion du processus. De même, la crédibilité et la légitimité de cette approche parmi les membres de la communauté semblent être en rapport direct avec le niveau de participation communautaire à la conception, à la mise en vigueur et à la gestion de cette option.
Cet article est axé sur l’approche utilisée dans les communautés inuites, et c’est pourquoi je n’ai pas abordé en détail les cercles de détermination de la peine dans les autres communautés, y compris au Yukon. J’ai donc limité mes commentaires à la réaction au cercle de détermination de la peine que j’ai enregistrée à Nunavik.
Les sujets d’inquiétude spécifiques reliés aux cercles de détermination de la peine organisés à Nunavik sont reliés à certaines hypothèses provenant des personnes travaillant dans le cadre du système judiciaire qui recommandent l’utilisation de ces approches dans les communautés inuites. Je voudrais tout d’abord discuter de ces hypothèses, qui sont les suivantes :
a) l’hypothèse que cette option est ancrée dans la culture et la tradition inuites;
b) l’hypothèse que si la communauté y participe, il s’agit d’une option communautaire;
c) les hypothèses concernant «la» communauté inuite; et
d) l’hypothèse qu’il s’agit d’une solution de rechange réelle au système existant de justice.
Les cercles de détermination de la peine: une tradition inuite?
Comme indiqué ci-dessus, la plupart des cercles de détermination de la peine ont été introduits dans les communautés inuites et les autres communautés autochtones par des juges partisans des réformes, dans le but de corriger ce qui a été considéré comme étant un échec du système de justice criminelle et pour répondre aux besoins perçus des Autochtones et des communautés en relation avec le système.
Les options sont présentées comme quelque peu distinctes du système existant avec tous ses défauts. Cette distinction établie entre les options et le système existant de justice criminelle est basée sur la prémisse que ce dernier système est non inuit et donc non traditionnel. Selon moi, cette dichotomie est artificielle. Un grand nombre des solutions de rechange au système judiciaire existant mises en œuvre et utilisées dans les communautés inuites, comme la diversion, la médiation et les cercles de détermination de la peine sont aussi non inuites, présentent des degrés variés de participation par les Inuits et, en grande mesure, font partie intégrante du système existant de justice criminelle comme il existe aujourd’hui et en dépendent beaucoup. En fait, les modifications au Code criminel introduites dans le projet de loi C-41 concernant les mesures alternatives intègrent explicitement ces options dans le système existant de justice criminelle. Donc, suggérer que ces options sont distinctes du système existant parce qu’elles sont basées dans la communauté inuite est une erreur.
Je pense qu’il serait juste de dire que les personnes qui recommandent et introduisent ces options de rechange perçoivent ces approches comme soutenant les valeurs autochtones parce que des Autochtones y participent. C’est l’hypothèse consistant à dire que si quelque chose est «basé dans la communauté» et que la majorité des membres de la communauté sont autochtones, cette approche doit donc être «autochtone» et «traditionnelle». Il semble y avoir acceptation de la part du juge s’étant prononcé sur le cas de Nunavik que si les cercles de détermination de la peine étaient utilisés dans une communauté autochtone, ils pourraient être utilisés dans cette communauté autochtone. Comme de nombreux étrangers, ce juge particulier semble avoir supposé, malgré ses bonnes intentions, qu’il n’y avait pas grande différence entre les communautés des Premières nations et les communautés inuites. Et par conséquent, cette option «autochtone» serait meilleure que le système existant qui est «étranger», parce qu’il est non autochtone.
Cette hypothèse que cette approche conviendrait parce que perçue comme ayant des racines dans les cultures des Premières nations reflète un manque de compréhension des différences entre les nations autochtones et leurs cultures, traditions et pratiques.
La crédibilité et la légitimité de ces options, tout comme la crédibilité et la légitimité du système existant, dépendent de la manière dont la communauté les perçoit.
Si ces options sont véritablement considérées comme des tentatives de réfléchir et de promouvoir les traditions et les valeurs inuites, elles ne seraient donc pas simplement vues comme des alternatives à l’incarcération ou à une autre composante du système existant.
Il semble peu probable que les Inuits, se tournant vers leurs traditions ou valeurs du passé pour faire face aux conflits et troubles sociaux dans la communauté, débouchent sur un comité de justice communautaire, un cercle de détermination de la peine basé dans la communauté ou la diversion des adultes.
Dans le contexte de la culture inuite, je ne connais rien de si exact ou complet qu’un «système» de justice traditionnelle ou une «pratique» de justice traditionnelle que l’on puisse identifier immédiatement et mettre en vigueur. Il existe des pratiques traditionnelles de contrôle social formelles et informelles, comme chants consistant à faire honte à quelqu’un, luttes individuelles, défis lancés pour prouver sa force, ostracisme, bannissement et, dans certains cas, mises à mort.
Il semble que les personnes écrivant sur la réforme de la justice autochtone se réfèrent aux «initiatives communautaires» et «pratiques traditionnelles» comme si elles étaient synonymes. On peut demander une participation communautaire plus large au système judiciaire mais cela ne veut pas nécessairement signifier un retour aux «pratiques traditionnelles» du type décrit ci-dessus. Bien que certaines personnes demandent un retour aux «valeurs traditionnelles», on ne saura s’il s’agit de solutions de rechange au système de justice existant que lorsque les Inuits auront véritablement l’occasion de définir leur propre système judiciaire, par des initiatives comme l’autogouvernement.
Jusqu’à ce moment-là, les initiatives communautaires comme celles lancées à l’heure actuelle dans le cadre du système existant auront beaucoup de mal à refléter les valeurs ou traditions inuites. Selon moi, l’un des obstacles principaux qui doit être surmonté, en ce qui concerne ces nouvelles alternatives, c’est le concept de «communauté» et sa définition. La définition de ce qu’est la communauté affecte qui a l’occasion de participer à ces options et le rôle que doit jouer la communauté pour résoudre les conflits.
Si l’on veut dire par «communauté» tous les habitants d’un hameau particulier, cela veut dire que toute personne résidant dans ce hameau pourrait et devrait y participer, en l’absence de lignes directrices ou de critères d’appartenance ou de participation.
Fait ironique, avant que les Inuits soient transférés des camps à des peuplements, ce qui s’approchait le plus du concept de communauté, c’était le camp.
Il y avait un rythme saisonnier à la vie communautaire parmi les Inuits traditionnels. … pendant les mois d’été, les petits groupes se composaient principalement d’une ou de deux familles qui se déplaçaient pour trouver un endroit considéré comme favorable à la pêche ou à la chasse au caribou. En hiver, des groupes plus importants regroupaient plusieurs familles étendues, leur activité principale pendant cette période étant la chasse au phoque.
Le concept contemporain de communauté incluant des Inuits ayant des liens de parenté ou non et des Qallunaats vivant ensemble dans des communautés pouvant varier de 150 à 1 500 personnes, n’a aucune base traditionnelle pour les Inuits.
Dans les camps, l’interaction sociale était très différente de celle qui a lieu dans les peuplements contemporains. De même, les troubles et conflits sociaux et les réactions à ces problèmes sont aussi très différents.
Les membres de cette «communauté» traditionnelle étaient des personnes qui étaient reliées entre elles «par la naissance, le mariage, l’adoption ou le partage d’un nom commun avec quelqu’un d’autre… pratiquement tous les habitants du camp étaient apparentés d’une manière ou d’une autre». Cette forme d’organisation du camp aidait beaucoup à maintenir l’harmonie à l’intérieur du camp.
Les membres de ces groupes changeaient fréquemment, avec souplesse, pour refléter les alliances et les tensions changeantes à l’intérieur du groupe. L’aménagement du camp reflétait les alliances et les antagonismes les plus forts entre les différentes familles. Celles qui s’entendaient le mieux vivaient proches les unes des autres, et allaient même jusqu’à partager un grand igloo en hiver ou placer leurs tentes pour faire face les unes aux autres pendant l’été. Les familles qui ne s’entendaient pas ne s’installaient pas dans le même camp ou habitaient dans des régions opposées du camp.
Deux valeurs spécifiques identifiées comme contribuant de manière importante au maintien de l’harmonie à l’intérieur du camp étaient la non-interférence et la réaction aux problèmes d’une manière qui évitait de créer d’autres problèmes.
Nous savons, d’après les histoires racontées par les Inuits, que «les Inuits ont beaucoup de respect pour le droit de l’individu à vivre sa vie sans aucune interférence». L’une des explications pour cette croyance c’est que «… dans une situation où les gens sont forcés à vivre en proximité très étroite pendant de longues périodes, on tente de minimiser les points de conflit et les abus des droits des autres».
Le respect de la non-interférence dans la vie des autres a un impact direct sur la manière dont les gens interagissent. En particulier :
Cette croyance [ en la non-interférence ] provoque souvent chez les Inuits un certain degré de malaise quand ils exercent leur autorité sur d’autres Inuits, même si le poste qu’ils occupent leur confère une autorité suffisante. … les Inuits sont mal à l’aise quand ils répondent à des questions directes concernant d’autres personnes et leurs motifs.
Cette première valeur de non-interférence signifie en fait que les problèmes qui n’affectent pas le bien-être de la communauté tout entière et sa survie sont réglés de manière privée et informelle par les personnes immédiatement concernées.
La deuxième valeur importante à noter c’est qu’en formulant une réponse à un problème, la règle élémentaire était que «la punition ne doit pas causer plus de problèmes que l’infraction initiale».
En pratique, ce que cela semble dire, c’est que ce que l’individu a fait est moins important que qui est l’individu qui a commis la faute. En d’autres mots, l’identité de la personne causant un problème était une considération principale quand on déterminait les mesures spécifiques à prendre en réaction avec son comportement particulier.
Si la personne responsable du problème, au camp, se trouvait être aussi l’un des meilleurs chasseurs, les mesures prises seraient très tolérantes. La communauté ne pouvait pas se permettre d’aliéner, d’exclure ou encore pire d’abandonner cette personne parce qu’elle ne pouvait pas se permettre de perdre l’un de ses meilleurs chasseurs. Perdre un bon chasseur serait une pénalité grave et résulterait en un problème encore plus important et un danger pour la survie du camp. Et cependant, si la personne responsable du problème n’était pas un bon chasseur et si les problèmes étaient de nature ne présentant aucun danger pour le bien-être du camp, le bannissement ou même la mort (si la personne avait tué quelqu’un dans le camp ou était devenue folle) serait considérés comme des mesures acceptables.
Ces pratiques et valeurs traditionnelles sont très difficiles à retrouver dans les solutions de rechange récentes introduites sous la forme de cercles de détermination de la peine. Il est évident que les options traditionnelles de détermination de la peine ne recherchent pas les solutions consistant à punir le délinquant ou à le réadapter en se basant simplement sur le type de délit. Il s’agirait plutôt de mesures prises pour restaurer la paix parmi les personnes affectées directement.
Sans aucun doute, les défenseurs des cercles de détermination de la peine maintiennent qu’il s’agit exactement de ce que les cercles sont censés faire, soit étudier la question dans son contexte plus large et assurer la participation de la collectivité. Cependant, les options comme les cercles de détermination de la peine ont recours aux autres membres de la communauté pour discuter ouvertement non seulement du comportement d’individus spécifiques ayant abouti à une condamnation pour des délits criminels mais discuter aussi d’aspects de leur vie qui pourraient être personnels et privés. Ce type de discussion sous forme de forum ouvert semble être directement contraire à la croyance inuite en la non-interférence, tout spécialement vu le nombre de gens qui peuvent participer au cercle et le fait que ces personnes pourraient ne pas être des parents directs de la famille ou être concernées par cette question.
Aujourd’hui, les membres des communautés inuites sont très différents, ils constituent un groupe beaucoup moins étroitement lié et sont moins dépendants les uns des autres pour leur survie. Certaines des valeurs et pratiques traditionnelles pourraient donc ne pas être acceptées facilement par les membres de la communauté inuite d’aujourd’hui. Par exemple, certains pourraient remettre en question le principe de savoir si l’accusé est l’un des meilleurs chasseurs de la communauté au moment de déterminer la peine appropriée pour violence conjugale.
Le degré auquel certaines valeurs et pratiques traditionnelles sont acceptées dans les communautés inuites contemporaines est aussi un autre problème qui doit être résolu. Dans les communautés inuites contemporaines, on ne peut pas supposer que tous les Inuits souhaitent un retour aux valeurs et pratiques traditionnelles. Nous n’avons pas entendu de femmes inuites exiger de telles pratiques traditionnelles de contrôle social comme les chants servant à faire honte au coupable, les combats individuels, les défis lancés pour savoir qui est le plus fort, pour remplacer le système existant de justice dans les cas de délits sexuels. La décision de savoir quelles valeurs et pratiques traditionnelles sont adoptées et reflétées dans des solutions de rechange à la justice contemporaine est une question sur laquelle tous les Inuits de la communauté devront se mettre d’accord.
Une solution de rechange « communautaire »?
Il est nécessaire de mieux comprendre les initiatives contemporaines basées dans la communauté et les pratiques traditionnelles ainsi que leurs différences respectives. Comme noté plus tôt, celles-ci sont considérées comme étant les mêmes par de nombreux observateurs. La simple participation par les gens de la localité à une option conçue par des étrangers n’est pas la même chose qu’une solution émanant véritablement des Inuits de la communauté.
Il y a des gens qui suggèrent que l’on pourrait remédier aux carences du système judiciaire existant si davantage d’Inuits étaient inclus au système, au-delà du rôle d’accusé ou de victime. Un système de justice adéquat sur le plan culturel ne peut être formulé tout simplement en veillant à ce que davantage de membres de la communauté participent au processus. L’argument d’augmenter la présence des Inuits présente certainement des mérites si on pense véritablement que ce n’est pas le système en soi qui est défectueux ou que le rôle accordé aux Inuits leur fournira un pouvoir de prise de décisions à l’intérieur du système. Les solutions de rechange basées dans la communauté, comme les cercles de détermination de la peine, semblent répondre à la même prémisse. Cependant, il ne s’agit pas d’une initiative conçue par les Inuits dans la communauté, offrant à tous les segments de la communauté inuite une participation complète.
Dans une certaine mesure, nous ne pouvons ignorer ou minimiser les possibilités d’une alternative incluant la participation importante des gens de la communauté. Si l’alternative est gérée par des gens de la communauté, cela diminuera le rôle des professionnels au sein du système judiciaire et augmentera le rôle des membres de la communauté. Cependant, on se demande alors quel rôle joue la communauté.
On a tendance à passer sous silence l’origine des solutions de rechange et de mettre plutôt l’accent sur la manière dont elles affectent la communauté pour déterminer si elles sont ou non basées sur une initiative véritablement communautaire. S’il y a participation communautaire importante, on la considère comme étant «basée dans la communauté».
Les personnes recommandant les cercles de détermination de la peine identifient régulièrement cette approche comme moyen de veiller à ce que la communauté joue un rôle significatif, assume une plus grande responsabilité face aux problèmes et ait davantage de contrôle sur la détermination de la peine.
Cependant, le processus de détermination de la peine par un cercle, à Nunavik, a été quelque chose d’initié par le juge qui n’a en aucune façon altéré l’autorité ultime du juge pour déterminer la peine appropriée.
Des changements réels reflétant les objectifs et les aspirations des Inuits se matérialiseront quand les membres de la communauté définiront ce que sera le changement et qu’ils contrôleront ce changement. Dans le contexte du système de justice criminelle, cela signifie permettre à tous les segments de la communauté inuite, y compris les plus marginalisés, de participer pleinement à la restructuration et à la mise en vigueur d’un système approprié, responsable et respectueux. Les cercles de détermination de la peine ne correspondent pas à cette possibilité.
Au-delà de la décision ultime du juge en matière de peine, le cercle de détermination de la peine accorde à la personne ou aux personnes participant au cercle un pouvoir considérable, le contrôle sur le résultat et son impact sur les personnes concernées. Plus ces décisions sont laissées aux mains de la communauté, plus cette solution de rechange est présentée comme étant une «alternative basée dans la communauté» et une «alternative autochtone».
À un moment donné de cette discussion, il est important de parler du pouvoir et de ses abus dans la communauté. Si les cercles de détermination de la peine et d’autres initiatives appelées «basées dans la communauté» aboutissent tout simplement à un transfert de pouvoir et de contrôle d’étrangers à des personnes spécifiques de la communauté, ceci va causer des problèmes encore plus grave.
Les décisions que doivent prendre les membres de la communauté concernant les cas qui seront soumis au cercle et les facteurs à déterminer pour prendre cette décision sont des exemples de choix qui ont une importance considérable et une grande signification non seulement pour l’accusé mais pour les autres membres de la collectivité, en particulier la victime. La décision de savoir qui va participer au cercle, le rôle de l’accusé, le rôle et le niveau de participation de la victime et comment le cercle sera géré, voilà d’autres exemples de décisions critiques. La question devient maintenant de savoir qui dans la «communauté» a la responsabilité et le droit de prendre de telles décisions. La question de la responsabilité de ces membres de la communauté doit faire l’objet de discussions. Au Yukon, on nous dit que ces décisions sont surtout prises par les comités de justice communautaire ou les groupes de soutien aux cercles.
À Nunavik, ces décisions ont été prises par le juge et l’agent de probation, en consultation avec le maire de la communauté et, à un degré moindre, par le président du Groupe de travail sur la justice chez les Inuits. Ceci soulève une inquiétude, celle de savoir s’il est approprié de laisser ces décisions aux mains d’étrangers ou de personnes de la localité ayant un pouvoir politique, en l’absence de toutes procédures ou normes acceptées, reconnues par tous les segments de la communauté.
Il serait juste de dire que, bien que le juge dans le cas de Nunavik ait proposé l’utilisation d’un cercle de détermination de la peine pour l’aider à fixer la sentence, les personnes concernées ne comprenaient pas vraiment pourquoi il agissait ainsi. Il n’y a pas eu d’explications fournies aux membres de la communauté présents sur ce que le cercle était supposé faire ou sur l’origine de l’idée d’un cercle de détermination de la peine. On n’a pas du tout expliqué comment ce processus était relié aux coutumes et traditions inuites.
Le juge a brièvement mentionné que les cercles de détermination de la peine avaient été utilisés au Yukon et qu’on essayait de les mettre en vigueur ici à cause des recommandations du Rapport final sur le groupe de travail concernant la justice chez les Inuits. Il a ensuite cité une recommandation spécifique du rapport :
Que le système actuel des tribunaux prévoie la participation communautaire au processus de détermination de la peine… en faisant des modifications au Code criminel et aux règles de pratique de la Cour du Québec ainsi que tout autre changement nécessaire à apporter aux règlements afin de forcer le tribunal à fournir une participation communautaire complète au processus de détermination de la peine.
Le juge a continué en racontant comment le cercle avait vu le jour à la suite de la requête de l’accusé qui désirait obtenir une aide de sa communauté. À la suite de ces remarques et des remarques faites plus tôt par le juge durant la session régulière du tribunal, les participants ne pouvaient que supposer que ce cercle de détermination de la peine était quelque chose de nouveau qui était censé inclure les Inuits au processus de prise de décisions concernant la peine. Le juge a souligné le besoin de fournir à la communauté un rôle à jouer dans le processus de détermination de la peine, mais n’a pas expliqué ce que les participants pouvaient faire ou à quoi on s’attendait qu’ils fassent pour «aider» l’accusé.
Il semble donc que l’on demandait au groupe d’aider à formuler une peine qui empêcherait l’accusé de répéter son délit mais ceci n’était pas déclaré explicitement. Demandait-on aussi au cercle de détermination de la peine de formuler une peine qui permettrait de réconcilier l’accusé avec la communauté ou protéger la victime? Ceci n’est pas clair car les instructions données au groupe par le juge ont pris la forme d’une question : «Qu’allons-nous faire de cet homme?»
Dans le cas soumis au tribunal, une personne a fait infraction à la loi, voilà en quoi consiste cette affaire. Une fois que la culpabilité a été prouvée ou dégagée, il y a détermination de la peine. Dans ce forum, il incombe à chacun d’entre nous de faire ce que nous pouvons pour aider [ l’accusé ] à s’orienter vers un nouveau début…
En l’absence d’instructions claires de la part du juge concernant l’objectif de ce processus, il se peut que les participants aient limité leurs discussions et leurs options à ce qui pourrait être fait pour aider l’accusé à s’orienter vers «un nouveau début» alors que d’autres questions auraient également pu être abordées. Par exemple, je pense qu’il est aussi significatif que le délit auquel il a plaidé coupable était une agression physique et que la personne qu’il battait était sa femme. Selon les informations fournies par le juge, l’accusé a commis ce délit alors qu’il était en probation pour le même délit sur la même victime; il a confessé ouvertement devant le tribunal qu’il avait déjà été condamné trois fois pour avoir battu sa femme et qu’il avait battu sa femme au moins 50 fois sans être inculpé.
La plupart des membres de la communauté participant au cercle étaient très peu au courant du processus judiciaire et n’avaient probablement aucune familiarité avec les principes sur lesquels les pratiques de détermination de la peine sont basés. Sans explications concernant cette option de rechange à la détermination de la peine, une contribution active et significative de la part de tous les membres du cercle était sévèrement limitée. On n’a jamais répondu aux questions comme : pourquoi ce cercle spécial est-il utilisé au lieu d’une audience régulière devant un tribunal?; quel pouvoir le cercle a-t-il de créer de nouvelles options de détermination de la peine?; et qu’est-ce que la peine est censée accomplir? Ou que doit être la peine infligée par un juge, selon la loi, pour quelqu’un accusé de violence conjugale?
Le juge a tenté de clarifier son rôle et les rôles des autres participants. Il a expliqué que tout le monde, dans le cercle, était «au même niveau et égal».
Sans aucun doute, une certaine confusion a été causée quand, après avoir souligné cette égalité, il a expliqué qu’il n’était «pas obligé de suivre les conseils» donnés par les membres du cercle. Le principe du cercle est d’«éliminer le rôle dominant que les tribunaux traditionnels accordent aux avocats et aux juges». Se référant au travail du groupe comme «des conseils» tout en soulignant l’égalité de tous au sein du cercle, constitue un message mixte et soulève des questions concernant l’égalité réelle des membres et dans quelle mesure la communauté a un pouvoir quelconque dans ce processus. Dans sa décision écrite fournie par la suite sur ce cas, le juge s’est référé au cercle comme étant un cercle «de consultation» et s’est référé de la même manière aux cercles de détermination de la peine au Yukon. Il a aussi réitéré que ce type de consultation «restera toujours un outil à la disposition du juge pour l’aider à déterminer la peine».
La contribution communautaire ne s’est pas limitée à une participation au cercle. En fait, la peine formulée par le cercle a exigé des membres de la communauté qu’ils consacrent volontairement du temps à fournir des conseils hebdomadaires à l’accusé et à sa partenaire. Le juge a indiqué qu’il serait préférable si tous deux pouvaient assister aux séances de counseling. Sur les trois personnes identifiées par le groupe pour former le noyau chargé d’offrir un soutien aux couples sous forme de counseling, personne n’avait reçu une formation spéciale en counseling destiné aux auteurs ou aux victimes de violence domestique. Dans sa décision écrite, le juge a discuté de la responsabilité communautaire, celle de veiller à ce que l’accusé ne répète pas son délit :
Les membres du cercle vont sans aucun doute garder l’oeil sur l’accusé et d’une certaine manière se sentent responsables de son comportement. Il leur semble tout à fait naturel de fournir des conseils et un encouragement ou même d’exprimer vigoureusement leur désapprobation face à certains de ses comportements, même une fois que leur rôle s’est terminé.
Aux yeux de ce juge, ce processus est en fait moins qu’une solution de rechange au système existant mais plutôt un «outil d’intégration» pour les Inuits, spécialement le délinquant inuk.
La seule manière pour l’Inuk de participer à l’exécution de la justice, c’est de s’associer avec les gens qui l’administrent actuellement. De cette manière, l’Inuk comprendra que la peine qui lui est infligée par un juge venant du Sud est la même que celle que ses concitoyens désirent lui imposer… Si l’Inuk comprend que la peine qui lui est infligée est celle de son peuple, il sera sans aucun doute plus disposé à changer son comportement. «S’il est condamné à l’incarcération, à la suite de la recommandation des membres du cercle de consultation, il verra ces mêmes personnes quand il sortira de prison. On peut seulement espérer qu’ils lui accorderont une aide et une assistance pour qu’il ne retourne pas en prison».
La communauté: la somme de ses parties
Une hypothèse qui semble être adoptée par le juge dans ce cas, est celle que la «communauté» est une unité relativement homogène. On n’a pas accordé d’attention spéciale à la composition des membres du cercle, sauf pour veiller à inclure un ancien et l’accusé. Le maire a sollicité la participation de membres de la communauté, à la demande de l’agent de probation et les a «invités» à participer. Il ne semble pas y avoir eu en place aucun critère permettant de déterminer l’admissibilité des personnes à participer au cercle. Finalement, il a semblé être ouvert à toutes les personnes intéressées qui sont venues observer le cercle ou qui ont été priées d’y participer par le maire.
Quelques personnes qui y ont participé venaient de l’extérieur de la communauté. En plus du juge, il s’agissait du conseil pour la défense, du conseil pour la Couronne, du président du Groupe de travail sur la justice chez les Inuits, du conseiller régional en violence familiale et de l’agent de probation.
Dans sa décision écrite sur ce cas, le juge a commenté de la manière suivante :
Je voulais que le cercle se compose principalement d’Inuits de la même communauté, de personnes connaissant l’accusé; des anciens, des femmes et toute personne jouant un rôle important dans la communauté ont été invités à participer au cercle… J’avais suggéré à l’agent de probation responsable de recruter les participants que le cercle de consultation inclue le maire de la communauté, au moins un ancien (selon la tradition), des membres de la parenté de l’accusé et des amis ou parents de la victime. … Les cercles de consultation doivent toujours se composer de gens qui s’intéressent vivement au bien-être de la communauté. Ces personnes doivent aussi être représentatives de la communauté ou exprimer sa voix. Traditionnellement, les anciens prenaient les décisions importantes. Il devrait toujours y avoir une place pour eux lors de ces séances. Les victimes devraient également être entendues.
Il n’y a pas eu d’efforts, avant la réunion du cercle, de la part du juge, de l’agent de probation ou du maire pour informer la victime de ce processus et de ce qui allait se passer, ou pour veiller à ce que cette personne soit prête à participer et reçoive le soutien nécessaire pour le faire. La victime a été informée de la réunion du cercle par le conseiller en violence familiale d’une autre communauté, qui lui a demandé d’y participer.
En discutant du rôle des participants, comme son collègue le juge Stuart, ce juge a semblé croire que tous les participants au cercle étaient «égaux». Le cercle est conçu pour promouvoir un accès égal et une exposition égale, chaque personne faisant face à l’autre. Les partisans de ceci suggèrent que cette option donne à l’accusé et à la victime un rôle égal. En fait, dans ce contexte, la victime devient un membre d’une collectivité plus étendue et, sous bien des aspects, perd son identité individuelle pour devenir membre de la collectivité.
Ces hypothèses concernant la communauté et ses membres comme représentant une unité homogène, avec des valeurs, des traditions et des croyances partagées, passent outre aux déséquilibres fondamentaux en matière de pouvoir, aux différences et aux conflits au sein du système et de la communauté, et contribuent à promouvoir le mythe que tous les participants ont un accès égal et des opportunités semblables au sein du cercle. Fait ironique, ceux qui considèrent cette approche comme une amélioration parce qu’elle permet aux participants d’envisager le délit particulier dans un contexte social plus large, ne réfléchissent pas à l’impact possible de ce contexte communautaire plus étendu sur les participants au cercle qui se voient imposer le silence et assistent à la promotion des intérêts des autres. Le degré auquel les intérêts et les résultats anticipés pour les membres de la communauté sont les mêmes, en particulier ceux de la victime vis-à-vis du reste de la communauté, est douteux.
Depuis les tout débuts de ce processus alternatif, cette notion d’égalité pourrait être remise en question. Le droit de choisir entre le système existant et des solutions de rechange, si elles sont fournies, est généralement offert à l’accusé. Finalement, les «droits» de l’accusé sont perçus comme étant très importants pour les «besoins» ou les «intérêts» des victimes. Donner aux parties concernées le droit de choisir signifie éventuellement que le choix de l’accusé l’emportera à cause des droits substantiels accordés à l’accusé dans la Charte.
La suggestion que cette solution de rechange découle d’un choix est erronée. Il est tout à fait probable que, vu le choix entre une audience normale en vue de déterminer la peine et un cercle, l’accusé opterait pour l’audience. Les partisans du cercle de détermination de la peine suggèrent souvent que les accusés craignent davantage le cercle parce qu’ils font face aux membres de leur communauté et non à un juge qu’ils ne connaissent pas ou qui leur importe peu. Cependant, l’expérience des procès par jury pour les agressions sexuelles dans certaines communautés inuites suggérerait que les membres de la communauté ne désirent pas assumer la responsabilité de sanctionner un autre membre de la communauté et adoptent les mesures les plus tolérantes.
Sans aucun doute, quand il y a un choix donné à l’accusé et (ou) à la victime et à la communauté concernant l’utilisation de telles solutions de rechange dans les cas impliquant une violence contre les femmes, on craint non seulement que ce soit l’accusé qui prenne la décision mais aussi que ce choix soit fait en faveur de la solution de rechange parce qu’elle sera considérée comme et deviendra une alternative à l’incarcération. Ce n’est pas nécessairement quelque chose de négatif si la solution de rechange à l’incarcération est une réponse significative et progressiste consistant à rééduquer l’accusé en matière de violence contre les femmes et plus généralement de résoudre le problème de la violence faite aux femmes qui sont des victimes.
Ceci pose la question de comment veiller à ce que les intérêts et les besoins de la victime ne soient pas totalement oubliés dans cette détermination ou choix du chemin à suivre et de quelles mesures seront fournies pour veiller à ce que la victime soit entièrement capable de participer au processus, sans coercition, dommages ou crainte de représailles. Ces questions doivent être posées et les réponses qui y seront fournies devraient aider à déterminer quelles normes et lignes directrices s’appliqueront concernant l’utilisation de ces alternatives et le choix de solutions spécifiques.
Les partisans des cercles de détermination de la peine suggèrent que des comités de justice communautaire devraient jouer un rôle pour déterminer quelles questions seront réglées par les cercles. Dans certains cas, dans le Yukon, ces comités ont établi certaines procédures de demande exigeant que le délinquant effectue certaines tâches avant d’avoir droit de commencer le processus de détermination de la peine par un cercle. Celles-ci ont été précisées dans une ébauche rédigée par le juge Barry Stuart. Dans son ébauche, le juge Stuart déclare que
Certaines communautés ont adopté des procédures de demande imposant des tâches significatives au délinquant pour qu’il puisse entamer le processus de détermination de la peine par un cercle. Les conditions préalables, communes à toutes les communautés du Yukon, incluent l’acceptation de la responsabilité par le délinquant, un plaidoyer coupable, une connexion avec la communauté, un désir de réadaptation, des mesures concrètes prises vers la réadaptation, le soutien dans la communauté et la participation de la victime.
Ceux qui soutiennent le processus du cercle suggèrent que chaque cercle soit différent, selon la communauté, et que la structure et le processus soient souples. Ce caractère informel d’un côté est accueilli positivement par les nombreuses personnes qui se sentent aliénées par la formalité et les rigueurs des procédures des tribunaux. D’un autre côté, sans aucune ligne directrice ou norme, il est douteux que ce processus soit entièrement compris par les membres de la communauté et on en vient à se demander dans quelle mesure la participation de la victime peut avoir un sens. Ceci dit, le caractère prévisible et manifestement universel du système existant, quelles que soient ses carences et inégalités, pourrait être plus attrayant aux yeux des victimes parce qu’il est bien connu et qu’un grand nombre d’entre elles en ont déjà fait l’expérience.
Il semble de nouveau qu’il y ait une hypothèse sous-jacente concernant ces solutions de rechange, celle que les intérêts de la victime sont compris, reconnus et considérés comme tout autant importants que ceux de l’accusé par les membres de la communauté participant au cercle.
Les partisans de l’approche de cercle de détermination de la peine suggèrent souvent que les victimes ont davantage la possibilité d’être entendues et jouent un rôle dans la réadaptation de l’accusé par le biais de cette approche alternative. Ceci passe sous silence la réalité que de nombreuses femmes sont victimes de violence. Au cœur de cette hypothèse que tous les participants dans la communauté sont égaux et partagent les mêmes intérêts se trouve l’opinion que la victime, comme toute autre personne dans le cercle, est libre de parler et capable de le faire. Et pourtant, on comprend très bien qu’il existe très peu et peut-être même aucun service disponible aux femmes victimes de violence pour leur fournir le soutien nécessaire à la participation.
Aux yeux de nombreux juges, comme le juge concerné dans ce cas, de tels services ou soutien aux victimes ne seraient pas considérés comme des exigences préalables essentielles pour cette approche, car ils considèrent que la communauté et la victime partagent les mêmes opinions et croyances. Donc, la présence même des membres de la communauté autour de la victime est perçu comme étant suffisante pour lui fournir le soutien nécessaire. De plus, il semblerait qu’il n’est pas vraiment nécessaire pour la victime de participer pleinement au processus en prenant la parole. Sa présence, selon l’opinion du juge, est suffisante pour démontrer une certaine forme de réconciliation et peut-être de pardon, ce qui est un message important pour les autres membres de la communauté.
Dans le cas de Nunavik, ce juge de cour de circuit était relativement peu familier avec les membres de la communauté, avec la dynamique du pouvoir au sein de la communauté, y compris les liens familiaux et les liens politiques au sein de la communauté, et n’était certainement pas au courant des ragots communautaires. Ce manque de familiarité, associé à cette hypothèse d’une communauté homogène, a empêché le juge d’envisager même un examen plus approfondi de qui était l’accusé dans la communauté, de la manière dont ses liens avec la communauté pourraient avoir un impact sur la capacité des autres membres de la collectivité à participer librement au processus, au statut de la victime dans la communauté. Ne pas explorer ces questions et en même temps décider si le cas serait soumis au cercle ou non sert à perpétuer les obstacles existants contre les femmes victimes de violence domestique.
Et pourtant, tant de choses dépendent de qui est un membre particulier de la communauté. Si le membre de la communauté est un parent de l’accusé, lui-même abuseur ou simplement pas intéressé par cette question, il pourrait trouver qu’il est très difficile de comprendre l’impact de son délit sur la victime et, en général, sur la communauté. Cette hypothèse réduit encore plus au silence de nombreuses victimes. L’hypothèse que tous les membres de la communauté partagent les mêmes valeurs et opinions en matière de justice va à l’encontre du besoin d’entendre parler la victime elle-même, surtout si elle n’est pas sûre de vouloir participer. En d’autres mots, cette hypothèse pourrait (et cela a été le cas à Nunavik) éliminer le besoin pour la victime de parler de l’impact du délit sur elle.
Dans les discussions du cercle de détermination de la peine de Nunavik, l’accent était principalement mis sur l’accusé, sur ce qui pourrait être fait pour «l’aider» et sur ce qu’il devrait faire lui-même pour surmonter le problème. Le ton des discussions n’a jamais été agressif ni émotionnel. Toutes les personnes qui ont pris la parole l’ont fait de manière franche et directe. Aucun Inuit observant le cercle n’a été prié de prendre la parole pendant ce processus, mais seulement les gens qui ont participé au cercle ont parlé.
Pendant cette séance, on a parlé très peu de la victime, à part du fait qu’elle souffrait beaucoup quand son mari n’était pas dans la communauté pour l’aider à élever ses enfants. Seule la travailleuse en violence familiale a soulevé la question du besoin pour la victime de bénéficier de son propre système de soutien au cas où son mari commencerait à l’agresser de nouveau. Les activités et le mode de vie de l’accusé ont été discutés au départ comme étant «son problème» mais, au fur et à mesure du processus, certains membres du cercle ont commencé à parler de «leur problème». Ce changement de perspective implique dans une certaine mesure que la victime devenait responsable de l’abus.
À aucun moment pendant la discussion du cercle le délinquant ou les autres ont-ils écouté la victime décrire en ses propres mots ce que fut l’impact des actions de l’accusé sur elle ou sur sa famille. La victime a semblé très nerveuse, dans le cercle, et n’a parlé que brièvement quand le juge lui a posé une question. Selon les défenseurs des cercles, la participation de la victime est essentielle parce que ses commentaires sont significatifs et nécessaires afin de formuler une peine qui permettra de réadapter l’accusé. «De nombreux délinquants sont seulement conscients de l’état de la victime. Ils n’apprécient pas la douleur et les souffrances humaines qu’ils causent… ce n’est que lorsque la douleur du délinquant causée par l’oppression exercée par le système de justice criminelle est confronté par la douleur éprouvée par la victime à la suite du délit que la plupart des délinquants parviennent à envisager leur comportement sous une perspective correcte. Sans cette perspective, la motivation à participer à une réadaptation manque d’un ingrédient important et souvent essentiel.» Et pourtant dans ce cas, il était évident que la victime n’était pas en mesure de participer pleinement au processus.
Une autre hypothèse soutenue par le juge c’est que tous les membres de la communauté partageaient un intérêt, une responsabilité et un désir de se pencher sur cette question particulière de violence domestique. Le juge a semblé croire que la communauté était désireuse dans son ensemble d’assumer la responsabilité de se pencher sur la question de la violence contre les femmes dans la communauté. Dans sa décision écrite sur ce cas, il a déclaré que «tous les participants à un cercle de consultation partagent un objectif commun, celui de régler un problème bouleversant une famille et par conséquent la communauté tout entière». Au-delà de cette déclaration, il n’y a pas de preuve disponible provenant d’un membre de la communauté ou de chefs politiques pour confirmer que c’est bien le cas.
Comme dans les communautés du Sud, les communautés inuites font face à la question de la violence domestique et ne sont pas plus avancées quand tous les membres de la communauté, surtout les hommes, acceptent la responsabilité de la violence masculine contre les femmes. S’attendre à ceci de la part de la communauté, surtout quand le juge lui-même reconnaît que «la violence… sous la forme de coups et blessures ou d’agression commise par un homme contre sa femme, sa conjointe de fait, une amie, une compagnie d’occasion, etc. est «le délit le plus courant» est tout simplement manquer de réalisme.
Les communautés inuites peuvent être petites et tout le monde peut se connaître. Il existe des réseaux complexes de relations par le biais du mariage. Vu ces relations complexes et bien connues au sein d’une communauté, il n’est pas surprenant que peu de personnes dans cette communauté désirent accepter la responsabilité d’envoyer un autre membre de la communauté, peut-être un parent consanguin ou un parent par alliance, en prison. Comme déclaré précédemment, l’expérience des procès par jury, dans certaines communautés inuites du Nunavut, démontre que les gens de la communauté n’aiment pas envoyer leurs concitoyens en prison. En fait, il est compris par de nombreuses personnes dans ces communautés particulières que si l’on est condamné pour un délit de violence contre des femmes, surtout une agression sexuelle, il faut toujours choisir un procès par juge et jury. Le message sous-jacent de cette histoire c’est que les jurys condamnent rarement les hommes inuits pour avoir agressé sexuellement une femme inuite. De nombreuses raisons sont données à ceci; certains conseillers pour la défense rejettent le blâme de cela sur un mauvais conseiller de la Couronne, d’autres personnes de la communauté disent que les membres du jury ne veulent pas être responsables d’envoyer l’accusé en prison dans le Sud. En plus de ces informations générales, on doit se demander sérieusement si des solutions de rechange comme les cercles de détermination de la peine basés dans la communauté peuvent protéger les intérêts des victimes tout en respectant les droits des accusés. Il n’est pas surprenant que les femmes inuites craignent le recours à ces cercles dans les cas de violence contre les femmes.
Il est devenu évident, de par la manière dont le cercle était géré, que le juge considérait que la «communauté» et la «victime» étaient la même chose, partageant les mêmes valeurs, intérêts et résultats. Le juge n’a pas semblé du tout inquiet des rapports très limités de la victime avec le groupe pendant la réunion du cercle. L’accent a toujours été mis sur l’accusé. La victime était simplement un membre du public en général identifié comme étant la communauté.
Il s’agit d’une hypothèse perpétuée par le système existant dans la mesure où la Couronne, en représentant «l’État» et «l’intérêt public», est souvent perçue comme l’avocate de la victime. Les conflits entourant ce rôle double de la Couronne ont commencé à être résolus dans une communauté par l’établissement d’un service indépendant de défense des droits et de soutien aux femmes inuites victimes.
Avec de telles hypothèses sous-jacentes, il n’est pas surprenant que la question de ce qui arrive à ces femmes victimes de violence et ne pouvant pas se faire entendre dans leur communauté soit passée sous silence. Dans le cas des femmes inuites, ce ne fut que grâce au Projet de justice Pauktuutit que les femmes de la communauté ont été en mesure d’exprimer leurs inquiétudes concernant les réformes comme celle-ci, de manière les rendant moins vulnérables à la pression exercée par la «communauté». Pour les femmes, Pauktuutit est considéré comme l’organisme capable de représenter leurs intérêts sans que les femmes se sentent menacées.
Ceci est important à reconnaître, parce que si l’on comprend la «communauté» comme étant l’unité géographique locale et la «collectivité» comme ayant reçu des juges le droit de participer à la conception et au processus de telles options de rechange en matière de détermination de la peine pour finalement en décider, cela voudra dire que, finalement, les femmes pourraient être victimes d’une discrimination encore plus grande et ne pas être capables de se faire entendre. Pauktuutit, c’est clair, ne cadre pas avec cette définition de la «communauté» si la définition est géographique, et cependant de nombreuses femmes reconnaissent cet organisme comme étant la voix de leur «communauté».
Le cercle de détermination de la peine: une option de rechange ou un outil du système existant de justice
Bien que l’intention des cercles de détermination de la peine soit clairement de fournir une option de rechange axée sur la «justice réparatrice» au processus existant d’établissement de la peine par audience rétributive et incarcération, cette option n’est pas réellement indépendante du système de justice existant. La discussion de savoir si les cercles de détermination de la peine font partie intégrante ou non du système existant ou représentent une alternative n’a pas finalement d’impact sur le succès et l’efficacité de cette initiative à atteindre ses objectifs. Il y a plusieurs questions qui découlent de cette hypothèse selon laquelle les cercles de détermination de la peine représentent des options de rechange au système.
a) Une alternative traitée comme vache sacrée?
Les cercles de détermination de la peine ont échappé à toute étude et à tout examen critique, en partie parce que toute amélioration au système existant de justice est accueillie à bras ouverts. De plus, bien que ces options de rechange ne reflètent pas nécessairement les valeurs traditionnelles, en les décrivant comme appartenant d’une manière ou d’une autre à la culture inuite, on semble faire hésiter les non-Inuits qui travaillent au sein du système judiciaire ou au gouvernement à examiner attentivement ces options. On se trouve donc face à une approche de type «vache sacrée». Fait ironique, ces options de rechange sont identifiées et perçues comme des mécanismes d’autogouvernement échappant donc à l’oeil critique du personnel d’autres niveaux du gouvernement ou du système judiciaire.
Quelle que soit la manière dont ces options de rechange sont déterminées, on ne devrait pas leur permettre d’aboutir à de plus grandes inégalités contre les femmes ou, encore pire, faire courir aux femmes et à d’autres victimes un risque plus élevé que celui qui les menacerait dans le système existant. Une pratique faisant partie du système «autochtone» et du système «d’autogouvernement» pourrait permettre une certaine souplesse qui n’est pas prévue dans le cadre des procédures du système existant de justice criminelle. Et cependant, cette souplesse doit continuer de protéger les droits accordés aux femmes inuites grâce à la Charte des droits de la personne.
Ce besoin d’examen et d’étude rigoureuse pour veiller à ce que les droits des femmes inuites ne soient pas érodés découle des expérience acquises lors des négociations constitutionnelles et de l’enquête sur la réforme du système de justice autochtone. Par exemple, les études sur la justice autochtone ont, d’un côté, discuté de la manière dont ces options doivent respecter et protéger les «droits» de l’accusé comme prévu et garanti dans la Charte. D’un autre côté, ce sont ces mêmes preneurs de décisions juridiques, politiciens et autres qui refusent de s’inquiéter des «détails» de nombreux systèmes et pratiques alternatifs de justice, de la manière où ceux-ci ont un impact sur les victimes de la violence. Les droits à l’autogouvernement ne sanctionnent pas collectivement les inégalités internes axées sur le sexe ou autres facteurs énumérés ou non dans la Charte.
Il y a certaines garanties en place dans le système existant, ainsi que des soutiens au niveau de l’infrastructure, accordant une certaine protection aux victimes. Donc, si celles-ci ne sont pas également disponibles dans le cadre des options de rechange, il semble probable que les femmes choisissent finalement l’option leur offrant le plus de protection alors que l’accusé choisira l’option répondant le mieux à ses besoins. Dans l’alternative basée sur la communauté où l’accusé et la victime ont tous deux le droit de choisir entre le système externe et leur «propre» système, la pression de choisir leur propre système sera forte même si celui-ci ne fournit pas les services de soutien nécessaires. Choisir le système existant sera alors considéré comme ne pas soutenir leur «propre» système. Ceci aliénera encore plus les femmes et exercera sur elles une pression insoutenable et cependant intangible, ce qui leur rendra difficile l’option de choisir le système existant même si celui-ci leur offre une protection meilleure.
Il serait utile d’examiner le système ou la pratique recommandée dans la communauté, qu’il s’agisse ou non d’une pratique traditionnelle ou d’une initiative contemporaine basée dans la communauté, afin de déterminer la mesure dans laquelle ces alternatives créent encore d’autres obstacles et barrières aux victimes.
b) Une alternative à quoi?
La deuxième question, c’est que cette initiative n’est pas vraiment une option de rechange au système tout entier mais seulement à une toute petite composante de ce système. Les cercles de détermination de la peine sont une option de rechange à l’audience de détermination de la peine. En tant que telles, toutes les procédures et pratiques du système de justice existant aboutissant à l’audience de détermination de la peine s’appliquent véritablement. La différence c’est au niveau du résultat obtenu par le cercle.
Et pourtant, ce type de changement masque les questions plus vastes et rend encore plus difficile d’effectuer tout changement substantiel au système. Jusqu’à ce que ces questions juridictionnelles et constitutionnelles soient résolues par le biais de négociations d’autogouvernement, les options de rechange recommandées ne sont pas mutuellement exclusives avec le système existant mais restent plutôt des instruments du système. Il est compréhensible que face aux carences du système existant et au niveau toujours à la hausse de la délinquance dans les communautés, les personnes en mesure de faire des changements ne nécessitant ni une sanction législative ni un changement constitutionnel le fassent.
c) La solution de rechange et son impact sur la communauté
La troisième question est reliée à la seconde dans la mesure où le type de changement et sa mise en vigueur sont limités aux personnes fonctionnant à l’intérieur du système et peut-être à un petit groupe dans la communauté, connu par les participants au système existant. Par exemple, dans le cercle de Nunavik, le juge a demandé à l’agent de probation et au maire d’organiser le cercle et de recruter des gens qui pourraient y participer. L’idée du cercle a été proposée par le juge accompagné d’un chef politique concerné par la réforme de la justice dans la région.
Ce petit groupe d’architectes du changement ne permet pas une discussion très ouverte, publique, du type de changement que les gens de la communauté envisagent comme nécessaire. Ce processus de changement informel pourrait involontairement et très aisément faciliter le maintien des déséquilibres au niveau du pouvoir dans la communauté et les inégalités structurelles qui sont bien connues des membres de la communauté. Dans le contexte des cercles de détermination de la peine, le droit de déterminer la peine est transféré du juge aux membres particuliers de la communauté participant au cercle. Même si le juge a ultimement l’autorité de prendre une décision, il est soumis à la pression d’accepter les recommandations des membres du cercle. Ne pas accepter les conseils de la communauté aurait un impact direct sur la légitimité et la crédibilité de cette initiative. Les juges le savent bien et prennent donc garde de ne pas prendre de mesures contraires aux conseils des membres du cercle. Ceci étant un facteur crucial, les participants du cercle deviennent un élément très important.
À un certain niveau, le débat de savoir si les cercles de détermination de la peine reflètent un «changement réel» et sont de vraies «solutions de rechange» au système existant devient un débat pour savoir qui a réellement le pouvoir d’effectuer ce changement. Le débat porte sur le degré auquel ceux qui travaillent à l’intérieur du système conçoivent et éventuellement contrôlent ces solutions de rechange. Est-ce que c’est important si ce processus n’est pas indépendant du système existant? Selon moi, oui si l’on croit que les Inuits devraient définir leur propre système et leur propre pratique et qu’il y a des différences fondamentales dans la manière dont les Inuits et les Qallunaats réagissent aux questions de trouble social.
Si vous soutenez les objectifs de l’autodétermination, la restructuration de cet élément fondamental de la société doit rester entre les mains des Inuits. Ayant dit ceci, je crois aussi que laisser cette question être résolue par le biais de négociations d’autogouvernement présente des risques, sans aucun doute, pour les femmes inuites. Jusqu’à présent, le processus d’autogouvernement a été dominé par les hommes et centré sur les questions économiques et de ressources aux dépens des questions sociales. Si l’on assure aux femmes qu’elles jouiront d’un statut de participation entière et égale au sein de ce processus de négociation, la possibilité de réaliser des changements progressifs et réels au système judiciaire existant pourrait devenir une réalité. Dans le forum actuel, il est possible, si les négociateurs sont d’accord, de relier ces questions entre elles et de ne pas les traiter séparément. Le changement du système judiciaire est directement relié à d’autres questions comme les finances, les priorités budgétaires des gouvernements, le logement, la santé, le développement économique et d’autres programmes et politiques sociaux. Sans une réponse complète et coordonnée aux questions comme la pauvreté, la violence et les services sociaux et de santé inadéquats, le système de justice et ses solutions de rechange seront incapables d’aborder les causes profondes des problèmes qui se posent chaque jour.
Les solutions de rechange comme les cercles de détermination de la peine sont influencées par les perceptions et les expériences de ceux et celles qui travaillent dans le cadre du système judiciaire et qui ont œuvré dans des communautés autochtones, et ont donc l’autorité et la capacité d’effectuer ces changements. S’il s’agissait de la seule manière dont les changements pouvaient être effectués, le risque serait clairement qu’ils ne connaîtront jamais réellement la culture, les valeurs et les traditions. Donc, si le changement ne dépend que de leur juridiction, ce changement sera toujours limité par ce manque de connaissance et d’expérience. Il devient encore plus difficile d’explorer les contradictions et les tensions entre les valeurs inuites et qallunaates associées à l’ordre social, au contrôle social et à la justice dans la société inuite contemporaine.
Je reconnais cependant qu’il faut prendre de grandes précautions en recommandant une plus grande indépendance, sur le plan de ces solutions de rechange, qu’elles soient conçues et mises en vigueur par le système judiciaire ou la communauté. Un grand nombre des inquiétudes soulevées plus tôt concernant les hypothèses au sujet de la «communauté», son désir d’assumer la responsabilité des questions comme la violence contre les femmes, et le rôle de la victime dans la communauté plus étendue, deviennent encore plus significatives quand la communauté détermine quels cas sont admissibles aux cercles et quelles procédures devront être adoptées. Il va sans dire que les implications d’organiser un cercle de détermination de la peine pour un jeune délinquant accusé de vol ou de vandalisme sont très différentes de celles concernant un homme accusé d’avoir agressé sa femme.
Si, en fait, des telles solutions s’éloignent de plus en plus et dépendent de moins en moins du système de justice existant, et les individus peuvent choisir entre le système existant et la solution communautaire, il faudra examiner attentivement ces hypothèses pour veiller à ce que les femmes ne soient pas encore plus des victimes.
d) La solution de rechange comparée aux ressources et services existants
Ceci m’amène à aborder un dernier point. Dans les cercles de détermination de la peine organisés jusqu’à présent, il n’y a eu aucune assurance d’octroi de ressources financières adéquates ni de recours à des personnes de la communauté formées à leur tâche et capables de fournir une réaction significative et progressive aux délits violents, y compris des services aux délinquants ainsi qu’aux victimes.
Le recours aux cercles de détermination de la peine pour les cas de violence contre des femmes et des enfants inuits pourrait en fait envoyer un message erroné à la communauté et surtout aux victimes de la violence. Pour les femmes et les enfants victimes de violence masculine, le cas de Nunavik pourrait envoyer le message que les hommes qui abusent les femmes et les enfants et qui passent par ce processus ne devront pas réellement être responsables de leurs actions et ne recevront probablement pas l’aide dont ils ont besoin pour changer leur comportement et leurs attitudes. Par conséquent, de nombreuses femmes pourraient se poser des questions quant à la valeur de déclarer de tels délits et penser aux problèmes réels et possibles qu’elles pourraient rencontrer à la suite de la décision du cercle de détermination de la peine.
Par exemple, dans le cas de Nunavik, une personne accusée pour la troisième fois de violence domestique n’est pas incarcérée et n’est pas obligée d’obtenir des conseils spécialisés, à la suite du cercle. L’accusé et sa femme sont plutôt tenus de participer à des séances hebdomadaires avec des bénévoles communautaires qui n’ont reçu aucune formation pour traiter de ces questions mais acceptent d’être disponibles pour parler au «couple» de «leurs problèmes». Le résultat, dans ce cercle, n’a pas tenu compte des menaces et du danger auxquels sont exposées les femmes victimes d’abus dans les communautés inuites éloignées. On n’a pas non plus tenu compte des besoins réels du délinquant. Ces besoins du délinquant et les menaces et le danger pour la victime ne peuvent pas être passés sous silence quand on discute des solutions de rechange au système existant.
Il y a un besoin encore plus pressant d’explorer de manière plus poussée ce que l’on signifie par «communauté», qui compose la communauté, quelles garanties ont été utilisées pour veiller à la sécurité continue des victimes qui participent à ce procès, le soutien auquel elles ont droit et à tout suivi recommandé, quand on étudie les solutions de rechange au système judiciaire.
Comme je l’ai déclaré plus tôt dans ma présentation, le système existant de justice que les Inuits, dans les différentes communautés, remettent en question et critiquent, n’est pas le même système de justice existant à Vancouver, à Winnipeg ou à Ottawa. La référence au «système existant» implique qu’il y a un système de justice universel au Canada, possédant le même niveau de ressources et de services auquel chaque individu a accès, quels que soient son lieu de résidence, son groupe ethnique, son sexe, son statut économique, pour ne nommer que certains des facteurs en jeu.
Il arrive rarement, dans une discussion des avantages et des inconvénients du système existant et des solutions de rechange, que l’on ait l’occasion réelle d’aborder la question de l’absence de services et de programmes semblables à ceux qui sont fournis ou disponibles aux autres victimes et délinquants ailleurs au Canada.
Il est évident que les cercles de détermination de la peine ne disposent pas des mêmes ressources, des mêmes services de soutien et de la compétence professionnelle disponibles dans le système existant. Cette solution de rechange est clairement une tentative de remédier à la carence causée par les déficiences du système actuel dans les communautés inuites.
Pauktuutit a déclaré très clairement que les solutions de rechange ne sont pas les bienvenues dans les communautés si l’infrastructure nécessaire, les services de soutien et les ressources exigés pour le bon fonctionnement de ces solutions ne sont pas également fournis. Pauktuutit a aussi déclaré que, vu le manque de ressources et de services adéquats à l’intérieur du système existant et vu leur surutilisation, les solutions de rechange connaîtront de nombreux problèmes, ainsi que les communautés qui s’efforcent d’introduire ces changements.
La question de savoir si la communauté possède les ressources financières et humaines nécessaires pour fournir un soutien et des conseils adéquats tant aux accusés qu’aux victimes devrait être considérée comme un facteur fondamental pour déterminer si la communauté est désireuse d’adopter une alternative. Si la communauté manque de ces ressources et services, il faut se demander sérieusement si la communauté sera capable de mettre en vigueur efficacement ces solutions de rechange.
Les ressources et services adéquats auxquels je me réfère (comme étant nécessaires pour soutenir ces solutions de rechange et fournir l’infrastructure nécessaire) incluent l’élaboration et la gestion de services adéquats d’enseignement juridique auprès du public sur les solutions de rechange, une administration rémunérée chargée de mettre en vigueur l’approche alternative, des travailleurs de soutien et de défense des intérêts pour les femmes et les enfants victimes de violence, des programmes de counseling pour les agresseurs masculins en plus de travailleurs sociaux et de conseillers en alcoolisme et toxicomanie qui pourraient déjà oeuvrer dans les communautés. Sans une telle infrastructure installée, la crédibilité et l’accessibilité des solutions de rechange sont immédiatement remises en question.
On sait très bien que la réaction à la violence contre les femmes et les enfants est à plusieurs facettes, impliquant non seulement le système de justice criminelle mais aussi un certain nombre d’agences gouvernementales et de groupes communautaires. Il est accepté qu’une réponse coordonnée est nécessaire. En théorie, on accueille donc à bras ouverts le principe d’une restructuration du système de justice criminelle pour développer des modèles qui tentent d’atteindre des objectifs sociaux plus étendus. Cependant, en pratique, le système de justice criminelle, y compris toutes ses mesures alternatives, ne peut pas aller très loin dans sa tentative de réagir adéquatement aux délits et aux troubles dans les communautés s’il ne possède pas les services de soutien et l’infrastructure nécessaires dans les communautés.
Ceci soulève un point général. Toute solution de rechange doit posséder l’infrastructure nécessaire pour la soutenir, y compris des fournisseurs de services communautaires formés à leur tâche et possédant les habiletés exigées, rémunérés pour leurs services. Si une solution de rechange dépend d’un groupe important de bénévoles, elle sera peu fiable et il pourrait y avoir une variation considérable au niveau des services offerts. Cela signifie aussi que les ressources communautaires existantes surutilisées devront fournir un effort supplémentaire. Dans le cadre de la nouvelle législation fédérale sur la libération précoce et la libération conditionnelle, il y a une clause explicite portant sur le besoin d’établir des centres de transition dans les communautés autochtones (art. 81). Cette clause est suivie d’une précision explicite concernant l’obligation par le gouvernement fédéral de financer ces initiatives. Ce type d’engagement juridique au financement est nécessaire aussi pour les mesures alternatives comme les cercles de détermination de la peine.
Les solutions de rechange comme les cercles de détermination de la peine sont qualifiées «d’alternatives» mais dépendent du système existant. La terminologie «d’alternatives» entraîne une certaine confusion et suggère qu’elles seront financées de la même manière que le système existant. Il est donc logique que certains membres de la communauté croient que les ressources injectées dans le système existant seront simplement transférées à la communauté pour ces solutions de rechange. Or, nous savons que ce n’est pas le cas. En fait, selon l’expérience vécue, il semblerait qu’aucune nouvelle ressource ou nouveau service ne soient fournis pour aider à la conception, à l’établissement et au fonctionnement de ces solutions de rechange. En tant que telles, elles continueront à faire partie du domaine du système judiciaire et des autres, qui, à l’intérieur du système existant, ont accès à des ressources limitées pour «expérimenter».
Cette nécessité de financer l’infrastructure et les ressources associées aux solutions de rechange est directement reliée à la nécessité pour ces solutions de rechange de fournir certaines garanties et protection aux victimes de la violence, pour que l’on puisse utiliser ces initiatives dans les cas de violence contre les femmes et les enfants.
Remarques de conclusion
Malgré les inquiétudes formulées par les femmes inuites, il est très probable que ces solutions de rechange vont continuer d’être utilisées dans les cas de violence contre les femmes.
Il est nécessaire de discuter de manière plus poussée pour savoir quels cas pourront être réglés par les cercles et comment cette décision sera prise. Cette décision ne devrait pas être laissée au juge; c’est une question importante que le juge, avec la communauté, devrait prendre après une discussion publique poussée.
Ceci dit, je suis fortement convaincue que les cas comportant une violence contre une femme, une jeune fille, un jeune garçon ou des enfants ne devraient pas être réglés par un cercle communautaire de détermination de la peine, avant que la communauté n’ait accepté la responsabilité entière de régler les questions de violence contre des membres et des segments spécifiques de leur communauté. La communauté doit être davantage sensibilisée aux agressions conjugales et à la violence contre les femmes pour être en mesure d’assumer la responsabilité de ces types de sentence. Mieux sensibilisée, la communauté pourrait être mieux préparée à veiller à ce que la victime soit adéquatement représentée dans le cadre de ces solutions de rechange.
Des efforts devraient être faits pour veiller à ce que la victime bénéficie d’un soutien ou d’un groupe de défense des intérêts dans le cadre du cercle. Il a été reconnu qu’il s’agit d’une question nécessitant un travail plus poussé.«Il reste beaucoup de travail à faire pour trouver le moyen approprié d’inclure la victime ou du moins l’impact sur la victime dans le processus de détermination de la peine.»
De plus, il est nécessaire de mieux comprendre les objectifs de solutions de rechange comme le cercle de détermination de la peine. Il faut envisager d’élargir les principes généralement acceptés de détermination de la peine. Par exemple, si les cas d’agression sexuelle et de violence conjugale sont admissibles à ce processus, l’alternative de détermination de la peine doit être conçue pour permettre la réadaptation de l’accusé, mais elle doit aussi comporter la réadaptation et la protection de la victime et de la famille indépendamment de ce qui a été décidé pour l’accusé.
Dans le cas du Yukon, R. v. P. (J.A.), Lilles, CJTC, a déclaré que l’objectif de la détermination de la peine pour les agressions sexuelles «ne devrait pas être d’écarter le délinquant de la communauté mais de permettre la guérison de la victime et du délinquant au sein de la communauté». Ce qui manque à l’objectif de «guérison», c’est l’assurance que la communauté est en mesure de fournir ce service. Dispose-t-elle des ressources humaines et financières nécessaires pour aider la victime et le délinquant à guérir, s’ils sont désireux de le faire? La communauté dispose-t-elle des services nécessaires si le délinquant reste au sein de la communauté pour veiller à ce que la victime soit protégée d’autres épisodes de violence? Sans une telle protection, il est peu probable que la victime puisse jamais «guérir».
Comme dans le cas de Nunavik, le délit de violence contre les femmes est souvent considéré par le tribunal et par d’autres comme un problème qui doit être partagé par l’accusé et la victime. En tant que telle, cette question doit être réglée par les deux ensemble. Suggérer que la seule manière dont on peut résoudre le problème c’est de faire se rencontrer la victime et l’accusé est problématique. Le syndrome d’abus souffert par la victime dans ce cas pourrait nécessiter qu’elle ait le droit de bénéficier d’un soutien et d’un counseling sans la présence de l’homme qui l’abuse. Exiger que le problème soit réglé ensemble impose un abus encore plus marqué pour la victime. Selon moi, ce type de situation ne se serait pas produit si la victime avait disposé de services adéquats de défense des intérêts et de soutien. Si ce service avait été disponible, on aurait pu poser des questions au juge et aux autres personnes responsables de l’organisation et du déroulement du cercle, avant la réunion du cercle, pour déterminer s’il s’agit de quelque chose qui devrait avoir lieu et, si oui, si la victime serait capable d’y participer et dans quelles conditions.
Une autre question importante, c’est la responsabilité de la sélection des membres du cercle. Dans le cas de Nunavik, le juge a demandé aux agents de probation de s’en occuper. Cette responsabilité a été déléguée au maire. La décision de savoir qui participe au cercle ne devrait pas être prise de manière unilatérale par le juge ou par l’un de ses délégués. Des représentants nommés par la communauté en consultation par le juge peuvent décider du nombre de gens qui y participent et qui sera chargé de nommer les participants des cercles.
Le processus de sélection des membres des cercles de détermination de la peine devrait être élargi. Des lignes directrices ou des critères pourraient peut-être être élaborés pour savoir qui dans la communauté sera admissible à participer au cercle. Il est nécessaire de discuter de manière plus poussée de ce que l’on veut réellement dire par «communauté». Peut-être qu’il y a d’autres manières dont les Inuits de la communauté voudraient régler les questions soumises au cercle. En particulier, il pourrait y avoir des segments spécifiques de la communauté qui désirent participer d’une manière autre que par le biais d’un représentant de la communauté. Ceci nécessite une exploration plus poussée de la part des membres de la communauté et de ceux qui travaillent à l’extérieur avec différents groupes de la communauté. En tout cas, le terme «communauté» ne devrait pas être utilisé pour exclure des groupes situés physiquement hors de la communauté mais qui fournissent un soutien à des personnes marginalisées de la communauté.
De plus, en ce qui concerne la sélection des participants, une discussion approfondie est nécessaire concernant la participation des membres de la parenté et de segments spécifiques de la communauté comme les anciens, les jeunes ou les femmes. Les questions de relations familiales, les déséquilibres en matière de pouvoir à l’intérieur des groupes, doivent être réglés, pour que cette notion «d’égalité» parmi les participants soit respectée. Traditionnellement, la famille était responsable de régler les conflits internes et, sous cette perspective, les Inuits pourraient considérer comme nécessaire la participation de la parenté, alors que le tribunal pourrait penser qu’il s’agit d’un conflit d’intérêts. De nombreuses femmes victimes de violence n’adoptent pas rapidement de telles traditions parce qu’elles sont souvent biaisées vers la réconciliation de la famille, sans prendre en considération les souhaits de la victime. Ces questions doivent être discutées dans la communauté et avec le tribunal.
Il semble y avoir une certaine confusion concernant les initiatives en matière de justice chez les Inuits et les initiatives de justice basées dans la communauté. Comme déclaré précédemment, le fait que les Inuits représentent la majorité dans la communauté ne fait pas nécessaire d’une initiative communautaire une initiative inuite. En fait, très peu des initiatives basées dans la communauté sont ancrées dans la tradition et la culture inuites. Pour que les solutions de rechange soient véritablement inuites, les Inuits doivent être autorisés à les concevoir et les mettre en vigueur. Les personnes qui, à l’intérieur du système judiciaire, recommandent des solutions de rechange doivent accepter que leurs modèles soient reconstruits pour refléter les buts et objectifs déterminés par les Inuits de la communauté.
Au sein de la communauté inuite, cette reconstruction doit être effectuée de manière appropriée incluant tous les segments de la communauté. Si les solutions de rechange ne permettent pas le transfert du pouvoir du juge à un groupe choisi de quelques personnes de la communauté ayant beaucoup de pouvoir, peu aura été accompli. Les femmes ont exprimé leur inquiétude concernant l’introduction des traditions inuites dans le système de justice sans examen et discussion poussés, à cause de leur nature discriminatoire envers les femmes. Vu les inquiétudes soulevées, beaucoup de temps est nécessaire ainsi que des discussions concernant ces options de rechange. Une discussion franche est nécessaire quand on a recours à des méthodes traditionnelles dans le cadre d’initiatives basées dans la communauté et que ces méthodes ont pour effet, bien que ceci n’ait pas été voulu, de discriminer contre les femmes.
Dépasser le système existant et tenter de reconstruire le système de justice criminelle de manière à développer les valeurs et les forces inuites de tous les segments de la société inuite, serait, je le pense, totalement différent de tout ce qui nous a été présenté jusqu’à présent comme étant des solutions de rechange.
Dans le cadre d’une telle reconstruction, la force des femmes inuites comme survivantes de la violence ainsi que la force des hommes qui les maltraitent pourraient former la base sur laquelle construire le système. Jusqu’à ce que ceci soit effectué, les cercles de détermination de la peine, comme d’autres composantes du système de justice criminelle, refléteront le système existant de justice criminelle qui leur a donné naissance. Les noms pourraient changer mais les rôles d’accusé et de plaignant/victime resteront virtuellement intacts. Pour les femmes inuites victimes de violence et leurs défenseurs, leur énergie visera à assurer leur protection et sécurité dans le cadre de ces solutions de rechange, parce qu’elles ont été et resteront toujours les victimes dans ce contexte. Bien que l’accusé soit censé être considéré sous un angle plus vaste, dans le cercle de détermination de la peine, y compris ses points forts et ses contributions à la communauté, ce n’est pas le cas pour les femmes victimes de la violence.
Bien qu’il n’y ait pas eu d’évaluation poussée entreprise visant à évaluer l’impact de cette solution de rechange que représente le cercle de détermination de la peine au sein des communautés inuites, la popularité de cette approche et le soutien qui lui est accordé ont augmenté considérablement dans les médias, parmi les chefs politiques autochtones, parmi les autres politiciens et au sein du système judiciaire. De nombreuses personnes considèrent le cercle de détermination de la peine comme une panacée universelle permettant de solutionner les problèmes qui affectent le système judiciaire existant. Je voudrais terminer ma présentation en suggérant simplement qu’avant d’adopter si facilement ces solutions de rechange, nous examinions attentivement les hypothèses sous-tendant la discussion et les inquiétudes soulevées par les femmes qui ont été affectées par ces solutions de rechange à titre de victimes de violence. Après avoir fait ceci, nous devons nous demander, comme le suggère la tradition inuite, si cette réaction va créer, pour les victimes de violence, «plus de problèmes que l’infraction initiale».
Notes
1. Je voudrais remercier Linda Archibald pour sa participation et sa contribution intelligente à l’élaboration de cet article ainsi que son travail d’édition attentif et persistant. Je voudrais aussi remercier le Dr Carol La Prairie pour son travail qui, quand elle n’a pas été citée directement dans cet article, s’est révélée d’une importance cruciale pour mon propre travail dans ce domaine. Je voudrais aussi remercier Pauktuutit et les nombreuses femmes inuites qui m’ont accordé le privilège de partager leur histoire.
2. R. v. Moses, 11 C.R.(4e) 359 à la page 360.
3. Juge Barry Stuart, *Sentencing Circles: Purpose and Impact+, déclaration écrite non publiée présentée par le juge Stuart lors de sa participation à un cercle de détermination de la peine simulé à Ottawa en juin 1995.
4. Dans les communautés inuits, les statistiques concernant le niveau d’incarcération des hommes inuits comparé à celui des hommes non inuits ne sont pas facilement accessibles. Par exemple, une ventilation du statut des prisonniers par groupe ethnique aux Territoires du Nord-Ouest a été effectuée par Brian Kitchen en 1987. Le travail de Kitchen reposait en grande partie sur des recherches entreprises par Harold Finkler au cours des années 1970 et 1980. Voir Brian Kitchen (1987) : The Administration of Criminal Justice in Nunavut, thèse de maîtrise, Ottawa : Université Carleton. E. Andreas Tomaszewski présente un résumé des données obtenues par Kitchen dans sa thèse :
Bien que les Autochtones ne représentent que 62 % de la population des Territoires du Nord-Ouest, ils représentent 84 % de la population carcérale en 1985-86, 40 % étant des Inuits (Kitchen, 1987 : 46). Ce pourcentage a augmenté chaque année pour atteindre un pic en 1990-91 quand 91 % des prisonniers des Territoires du Nord-Ouest étaient autochtones (Centre canadien de la statistique juridique, 1994). Le taux d’incarcération par tête dans les Territoires du Nord-Ouest en 1991-92 était de 184 pour une population totale de 10 000 personnes, soit le taux le plus élevé parmi toutes les provinces et tous les territoires. Par comparaison, le taux d’incarcération canadien par tête pendant la même période était de 44 pour 10 000. Dans les Territoires du Nord-Ouest, le taux d’incarcération pour la population adulte est cinq fois plus élevé que dans le reste du Canada…
Voir E. Andreas Tomaszewski (1995) : Rethinking Crime and Criminal Justice in Nunavut, thèse de maîtrise, Ottawa : Université Carleton, p. 39.
5. Carol La Prairie, Altering Course: New Directions in Criminal Justice Sentencing Circles and Family Group Conferencing, Australian and New Zealand Journal of Criminology, Special Issue on Public Policy, décembre 1995.
6. Il y aura sans doute des changements aux modifications récentes apportées au Code criminel reliées au projet de loi C-41 qui sanctionnent actuellement l’utilisation de mesures alternatives approuvées faisant partie d’un programme institué par le procureur général du territoire ou de la province.
7. Pour obtenir de plus amples informations sur les cercles de détermination de la peine au Yukon, le juge Barra Stuart a écrit sur les différents processus et structures des cercles de détermination de la peine utilisés au Yukon. La Dre Carol La Prairie a écrit deux articles sur les cercles de détermination de la peine fournissant des commentaires détaillés sur le processus des cercles ainsi qu’une critique et une discussion de ces modèles de justice réparatrice. Voir ses articles Altering Course: New Directions in Criminal Justice Sentencing Circles and Family Group Conferencing, Australian and New Zealand Journal of Criminology, Special Issue on Public Policy, décembre 1995, et Community Justice or Just Communities? Aboriginal Communities in Search of Justice, Canadian Journal of Criminology, octobre 1995.
8. Deux cercles de détermination de la peine ont eu lieu dans une communauté de Nunavik. Le premier cercle s’est penché sur le cas d’une personne accusée d’avoir agressé sa femme alors qu’il était en liberté surveillée pour une condamnation précédente pour le même délit perpétré aussi sur sa femme. Le deuxième cercle a traité du cas d’un jeune délinquant et d’un adulte qui ont plaidé coupables d’avoir brûlé un édifice communautaire. Pour une critique détaillée de ce cercle, veuillez vous référer à un rapport que j’ai préparé pour Pauktuutit et le ministère de la Justice du Canada intitulé Report on A Sentencing Circle in Nunavik. Ottawa : Pauktuutit, 1994.
9. La Prairie, Altering Course: New Directions in Criminal Justice Sentencing Circles and Family Group Conferencing.
10. Pauktuutit, The Inuit Way, p. 15.
11. Dans la publication de Pauktuutit, The Inuit Way, on déclare que *Qallunaat est le terme inuktitut désignant les blancs+. Une explication de l’origine de ce terme est également fournie. *Son origine semble remonter à la phrase inuktitut signifiant >les gens qui dorlotent leurs sourcils’ et cela pourrait signifier que ces gens se dorlotent ou altèrent la nature, ou encore qu’ils sont de nature matérialiste.
12. Pauktuutit, The Inuit Way, p. 15.
13. Pauktuutit, The Inuit Way, p. 15.
14. Pauktuutit, The Inuit Way, p. 17.
15. Pauktuutit, The Inuit Way, p. 17.
16. Pauktuutit, The Inuit Way, p. 9.
17. En plus des documents de Pauktuutit cités dans cet article, il existe d’autres travaux reliés à la justice inuite et *traditionnelle+. Veuillez vous référer au Groupe de travail sur la justice chez les Inuits, Blazing the Trail to a Better Future: Inuit Justice Task Force Final Report (Montréal, Makivik Corporation, 1993), E. Andreas Tomaszewski (1995) : Rethinking Crime and Criminal Justice in Nunavut, thèse de maîtrise, Ottawa : Université Carleton.
18. Il est intéressant de noter qu’il y a de fortes objections et des critiques soulevées par des femmes inuites en réponse à des juges des Territoires du Nord-Ouest qui prennent en considération, comme circonstances atténuantes, pour déterminer la peine, si l’accusé condamné pour agression sexuelle est un *bon chasseur+ et si on a besoin de lui pour subvenir aux besoins de la famille. Cette manière traditionnelle de déterminer la réponse communautaire selon l’identité de la personne accusée plutôt que la nature du problème en soi semble avoir perdu sa signification parmi de nombreuses femmes inuites de la communauté d’aujourd’hui.
19. Par exemple, le concept de la *honte+ comme le connaît le Qallunaat est très différent de la honte et du processus consistant à faire ressentir de la honte utilisé dans le passé par les Inuits. Suggérer que les cercles de détermination de la peine ou cette dernière initiative, les téléconférences de groupes familiaux, sont plus appropriés que le système existant parce qu’ils incorporent une pratique consistant à faire ressentir de la honte n’est valide que dans la mesure où l’on utilise les mêmes mots. Pour un Inuk, il semble évident que ce processus est inadéquat mais ceci n’est pas aussi évident aux yeux des étrangers : après tout, comment la *honte+ peut-elle être perçue de manière différente selon la culture?
20. Il semblerait que les personnes soutenant cette solution envisagent les problèmes auxquels sont confrontés les peuples autochtones dans le cadre du système de justice existant découlant de la manière dont le système est appliqué et plus particulièrement par qui. Donc, les solutions mettraient l’accent sur l’augmentation du nombre de conseillers de la défense et de conseillers de la Couronne inuits, de juges, d’agents de probation et d’agents de police également inuits. Sans aucun doute, le système existant serait très différent si la majorité des personnes administrant le système de justice criminelle étaient des Inuits. Un tel changement améliorerait-il les causes profondes de l’échec du système? Il n’est pas facile de donner une réponse à cette question. Les juges, avocats et policiers inuits seraient-ils suffisants pour remédier aux inégalités et barrières structurelles auxquelles sont confrontés les accusés et les victimes inuits dans le cadre du système existant? Sans aucun doute, le mouvement visant à établir le gouvernement du Nunavut est basé en grande mesure sur l’hypothèse que la majorité des Inuits ayant le contrôle, leur gouvernement sera plus significatif et reflétera mieux la dynamique de leur culture et de leur société. Dans le cas du nouveau territoire du Nunavut et de son gouvernement, les Inuits seraient idéalement les preneurs de décisions, les législateurs et les bureaucrates qui auront le pouvoir de s’attaquer aux causes profondes des problèmes affectant le système.
21. Voir le manuscrit pas encore publié, à l’état d’ébauche, du juge Barry Stuart, intitulé Circles into Square Systems: Can Community Processes be Partenered with the Formal Justice System.
22. Dans sa déclaration d’introduction au cercle de détermination de la peine de Nunavik, le juge a noté que cette approche de cercle avait été utilisée au Yukon et, selon lui, avait abouti à un taux de criminalité à la baisse. La référence faite au cas Moses du Yukon et le manque général d’informations fournies a laissé de nombreuses personnes confuses concernant ce qu’elles pourraient faire et ce qu’elles étaient censées faire dans le cadre de ce cercle. Le juge n’a pas expliqué en détail comment le cercle était censé fonctionner, dans quelle mesure il était différent du processus habituel de détermination de la peine ou quel rôle les participants devraient jouer dans le cadre du cercle.
23. Groupe de travail de la justice chez les Inuits, Blazing the Trail to a Better Future: Inuit Justice Task Force Final Report (Montréal : Makivik Corporation, 1993), p. 121.
24. Le juge a informé le groupe que quand l’accusé a comparu devant lui plus tôt, il a demandé l’aide de sa communauté parce qu’il n’était pas aimé dans sa communauté. Ce fut le résultat d’un incident qui eut lieu quelque 10 ans précédemment et à la suite duquel il avait été accusé d’agression sexuelle. Depuis, il a eu l’impression qu’on ne l’aimait pas dans la communauté. Il s’est défoulé en agressant sa femme. Il a admis au juge que, quand il a été condamné pour violence conjugale peut-être trois ou quatre fois, il a déclaré avoir agressé sa femme 50 à 100 fois. Il a dit au juge qu’il voulait de l’aide de ses concitoyens.
25. Lors de la séance habituelle du tribunal, le juge a ordonné qu’un autre cercle de détermination de la peine soit organisé pour un jeune délinquant et un jeune homme qui ont brûlé un édifice communautaire. Une fois de plus, le juge a cité la même recommandation du Rapport final du Groupe de travail sur la justice chez les Inuits. Il a semblé vouloir utiliser le cercle de détermination de la peine dans ce cas spécifique à cause de l’impact direct sur la communauté du délit en question.
26. Dans le cas Moses, au début du cercle, le juge Stuart a invité le conseiller de la défense et le conseiller de la Couronne à faire leurs recommandations en matière de peine comme ils l’auraient fait lors d’une audience normale devant un tribunal. Cependant, en expliquant ses raisons pour commencer de cette manière, le juge a déclaré que, selon lui, il était nécessaire pour les participants de connaître les limites supérieures s’ils ne réussissaient pas à prendre une décision.
27. Ibid., p. 366.
28. R. v. Nappaakuk, Cour du Québec, p. 7.
29. R. v. Nappaakuk, p. 19.
30. R. v. Nappaakuk, p. 22.
31. R. v. Nappaakuk, pp. 9-10, 27.
32. Stuart, Terr., juge de cour dans R. v. Moses, pp. 365-366.
33. Pour une discussion plus poussée sur les perceptions de la *communauté+ et les hypothèses sur les communautés autochtones contemporaines, veuillez vous référer à Altering Course: New Directions in Criminal Justice Sentencing Circles and Family Group Conferencing, Chapitre V : Discussion, par La Prairie.
34. Le Projet de justice de Pauktuutit prépare un rapport sur l’utilisation des procès par jury dans les cas d’agression sexuelle dans les communautés inuites des Territoires du Nord-Ouest. Ce rapport devrait être terminé en avril 1996.
35. Voir R. v. Tivii, décision non signalée de Jean-L. Dutil, J.C.Q., Cour du Québec, 19 octobre 1993. Dans cette décision, le juge aborde les facteurs concernant la communauté quand il s’agit de déterminer si l’on doit avoir recours à un cercle de détermination de la peine à Nunavik.
36. Dans Moses, Stuart Terr, Cr.J., souligne le besoin de trouver un moyen approprié d’inclure la victime ou au moins l’impact du délit sur la victime afin de motiver le délinquant à participer à une réadaptation :
*De nombreux délinquants sont seulement conscients de l’état de la victime. Ils n’apprécient pas la douleur et les souffrances humaines qu’ils causent… ce n’est que lorsque la douleur du délinquant causée par l’oppression exercée par le système de justice criminelle est confronté par la douleur éprouvée par la victime à la suite du délit que la plupart des délinquants parviennent à envisager leur comportement sous une perspective correcte. Sans cette perspective, la motivation à participer à une réadaptation manque d’un ingrédient important et souvent essentiel.+
37. Avant le début du cercle, j’ai parlé à la victime. Elle semblait nerveuse et hésitait à y participer. Avant le début du cercle et pendant les 24 heures précédentes, son mari, l’accusé, était revenu dans la communauté pour l’établissement de la peine et avait habité avec elle dans leur maison. Pendant cette période, l’ordre lui interdisant tout contact avec sa femme avait toujours effet. Elle expliqua qu’elle a parlé à son mari et qu’elle a voulu s’asseoir à côté de lui. Elle a dit qu’il avait trouvé une solution. Quand je lui ai demandé ce qui, selon elle, devrait lui arriver, elle a déclaré de nouveau que son mari pensait qu’ils devraient obtenir tous les deux ensemble un counseling fourni par des gens de la communauté. Elle a semblé penser que ceci serait suffisant. La travailleuse en violence familiale lui a demandé ce qu’elle voudrait qui se passe s’il l’agressait de nouveau. Elle a expliqué qu’il avait promis de ne plus la battre. Quand je lui ai demandé si elle voulait obtenir des services de counseling distincts de ceux offerts à son mari, elle a indiqué qu’elle ne savait pas et qu’elle devrait lui en parler. On ne sait pas dans quelle mesure elle réagissait aux désirs de son mari, parce qu’elle y croyait vraiment ou parce qu’elle avait peur de parler contre lui. Dans notre conversation, l’accusé s’est approché plusieurs fois et s’est tenu à proximité, pouvant entendre ce que nous disions. La victime s’est montrée visiblement nerveuse. La conversation a terminé quand il l’a finalement appelée pour venir le rejoindre.
38. R. v. Nappaaluk, p. 18.
39. R. v. Nappaaluk, p. 3.
40. Si un effort sérieux est effectué pour régler ces questions concernant la réforme de la justice dans le cadre du forum de l’autogouvernement, les femmes inuites ont déclaré que l’on devra faire des efforts sérieux pour veiller à ce que les représentantes *véritables+ des femmes aient l’occasion de participer pleinement à ces négociations, y compris l’octroi d’un financement approprié aux représentantes des femmes comme Pauktuutit. Pauktuutit a exprimé au gouvernement du Canada son opinion que le modèle de négociations d’autogouvernement, comme proposé par le ministre des Affaires indiennes et du Nord, Ron Irwin, pourrait facilement, comme d’autres solutions de rechange en matière de justice, exclure les femmes inuites aux niveaux communautaire et régional. Le processus comme recommandé par le ministre ne comporte aucune garantie ou occasion d’inclure des groupes de femmes comme Pauktuutit.
41. Voir la présentation de Pauktuutit concernant le projet de loi C-41 au Comité permanent sur la justice et les affaires juridiques, février 1995.
42. C’est le terme utilisé par le juge dans le cas de Nunavik pour décrire à la fois les cercles qu’il a organisés et les cercles organisés sous l’autorité du juge Barry Stuart.
43. Stuart Terr. Cr.J., dans R. v. Moses, p. 371, déclare :
*Il reste beaucoup de travail à faire pour trouver le moyen approprié d’inclure la victime ou du moins l’impact sur la victime dans le processus de détermination de la peine.+
44. 6 C.R. (4e) 126, p. 129.
45. Dans le cercle de détermination de la peine du cas R. v. P. (J.A.) ainsi que dans le cas de Nunavik, les membres des cercles et les juges ont semblé mettre l’accent sur la nécessité de garder la famille ensemble et ont présenté ceci comme un problème que *le couple+ partageait et devrait résoudre ensemble.
46. Un exemple des inquiétudes soulevées, c’est l’opinion de certains anciens concernant la violence conjugale. L’opinion selon laquelle les violences commises contre son épouse ne sont pas un délit grave ou résultent du manque d’obéissance chez la femme à l’égard de son mari ou la non-acceptation de son rôle traditionnel, est une vue que ne partagent pas de nombreuses femmes inuites actuelles. Et pourtant, c’est une opinion qu’on entend exprimer par des anciens. Si on donne aux anciens la responsabilité des cercles de détermination de la peine, ce qui pourrait mieux refléter les traditions inuites, il pourrait y avoir des problèmes. C’est une question très délicate qui doit être résolue par les Inuits avant que des initiatives de justice basées sur les Inuit soient intégrées au système de justice ou aux initiatives de justice basées dans la communauté restructurées pour refléter les traditions inuites.