Extrait de la présentation de Lee Lakeman lors du service à la mémoire de Bonnie le 2 octobre 1998
«Le lundi soir 17 août, nous avons perdu Bonnie. Elle a quitté nos vies et la lutte pour la vie des autres. Son travail accompli nous fournit un refuge dans la tempête, nous apporte la joie de la lutte et nous donne du pouvoir. La ligne téléphonique d’urgence et le refuge contre les agressions sexuelles de Vancouver, l’alliance en Colombie-Britannique entre les maisons féministes ainsi que le bulletin de nouvelles qu’elle publiait, Newsletter of the Alliance of Feminist Transition Houses, l’association des centres d’agression sexuelle de tout le pays, les alliances déjà prévues avec les femmes de l’Inde, de la Russie, du Japon, de l’Indonésie, du Népal, voilà l’essence réelle et durable de Bonnie.
Sa présence se manifeste par le bien-être de tant de jeunes hommes et femmes attentivement encouragés par elle. Elle a offert les leçons les plus précieuses de la vie et a travaillé dur à transmettre le message. Elle donnait le meilleur d’elle-même quand elle parlait de «se prendre au sérieux», d’«aide mutuelle», des «moyens influant sur les objectifs». Son enseignement a visé la lutte contre la violence sexiste, contre la pornographie et la prostitution. Elle détestait la pauvreté et, le plus important, elle a enseigné à détester la richesse, condition même de la pauvreté.
Elle a célébré les différences, l’individualité et la collaboration. Elle a rejeté les notions d’éducation des masses et d’organisation des masses et s’est accrochée dans sa compréhension des collectifs féminins. Elle détestait la «suprématie des blancs», l’élitisme et le racisme. Elle nous a enseigné à toutes et à tous qu’il était de notre responsabilité personnelle de nous garder capables et désireux de lutter pour le bien commun.
Elle était souvent délicate et généreuse, de bonne humeur et travaillant toujours fort, attentive et dévouée. Amis comme alliés savaient tous que Bonnie était prompte à s’emporter. Elle avait peu de patience à l’égard des imbéciles. Elle travaillait fort à convaincre les gens de la validité de ses idées. Et elle travaillait fort à comprendre les idées des démunis. Même elle ne pensait pas que chacune de ses idées devait être adoptée sans discussion. Mais elle ne permettait certainement pas que ses idées soient rejetées.
«Je respecte énormément Bonnie, disent certains, même si je ne suis pas d’accord avec certaines de ses idées.» Ces gens-là doivent être trop jeunes pour se souvenir qu’elle a organisé une cellule à la cafétéria lors d’une conférence à la prison à Harrison Hotsprings. Nous étions avec Betsy Wood et Gay Hoon, les femmes accusées d’avoir facilité une émeute de détenues. Bonnie prévoyait mettre la pagaille et elle l’a bien fait. Même notre collectif en a souffert considérablement.
Je pense qu’ils ne l’avaient pas entendue interrompre de manière répétée le procureur général et appeler le chef de la police un menteur concernant les services offerts aux femmes. Et je pense qu’ils ne l’ont jamais vue s’interposer entre les flics et les femmes autochtones qui avaient occupé les bureaux du directeur des affaires des détenus et étaient amenées en prison par une allée à l’arrière de la cour. Je suppose qu’ils ne l’ont jamais vue chahuter un conférencier de droite. Et, évidemment, ils n’étaient pas présents quand elle a rassemblé un groupe d’entre nous pour envahir une classe de criminologie à la SUF, alors qu’un professeur disait des bêtises. Ils ne l’ont probablement pas vue ce dimanche matin devant l’église chrétienne de Jimmy Pattison, alors qu’elle lui hurlait des insultes pour vendre de la pornographie.
Et je pense qu’ils ne comptaient pas quand elle a marché avec les femmes autochtones dans les allées de Chaunessey pour manifester à voix forte son indignation devant les enfants volés.
Ils ont oublié comment, avec d’autres, elle a occupé la cathédrale du centre-ville avec les prostituées de la rue. Et ils n’ont pas fait attention quand elle a protégé une jeune prostituée pour lui permettre d’échapper à un proxénète violent.
Ceux qui disaient aimer Bonnie mais non sa politique mentent. Si on enlève la musique politique de son étui à musique, les messages politiques de ses textes et de ses discours ou l’art politique de sa maison, il ne reste plus rien. Si on élimine les amis qu’elle aimait pour leurs convictions et pratiques politiques, il ne resterait plus d’amis. Si on élimine les partenaires qui n’ont pas rehaussé sa politique, il n’y aurait plus de partenaires. Elle aimait parcourir la campagne à bicyclette et elle aimait aussi les formes gracieuses et le rire spontané des enfants, mais tout ceci faisait aussi partie de sa politique. Ceux et celles qui parlent d’elle comme étant convenable, timide sur le plan sexuel et bien sûr hétérosexuelle, ceux et celles qui parlent d’elle comme étant une femme bien rangée, modérée et raisonnable, tout ceux-là ne connaissaient pas Bonnie.
Il serait correct de la décrire comme une mère célibataire, une femme qui a abandonné son enfant, une femme dont l’enfant a été pris par l’État, une femme adultère, une femme qui osé aimer, qui n’a pas respecté la règle de la loi, une briseuse de loi, une contrebandière de livres politiques illicites, une récipiendaire du bien-être social, une resquilleuse du bien-être social, une conspiratrice qui a aidé les femmes à faire passer clandestinement leur bébé à une frontière, une défenseuse partisane, une militante, une radicale, une révolutionnaire, une féministe.